Introduction
L’annonce de la création d’un tribunal international spécial pour juger les responsables de la guerre en Ukraine, dont Vladimir Poutine, marque un tournant historique pour la justice internationale. Le Conseil de l’Europe, qui réunit 46 pays, a décidé d’instituer cette juridiction pour poursuivre les auteurs du « crime d’agression » contre l’Ukraine1. Cette initiative, saluée par Kiev et de nombreux gouvernements occidentaux, soulève des espoirs mais aussi de nombreuses interrogations sur la capacité réelle de la communauté internationale à traduire en justice un chef d’État en exercice. Africanova analyse les enjeux juridiques, politiques et diplomatiques de ce tribunal inédit, ainsi que ses répercussions potentielles pour l’Afrique et le monde.
Un précédent historique
Jamais, depuis Nuremberg, la communauté internationale n’avait envisagé de juger un dirigeant d’une grande puissance pour crime d’agression. La création de ce tribunal spécial répond à la demande pressante du président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui souhaite voir « tous les criminels, y compris Poutine, jugés »1. L’objectif affiché est de combler le vide juridique laissé par la Cour pénale internationale (CPI), qui ne peut poursuivre le crime d’agression que dans des conditions très restrictives.
Le tribunal sera composé de juges internationaux, indépendants, et basé sur le modèle des tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda. Son mandat : juger les plus hauts responsables politiques et militaires russes pour l’invasion de l’Ukraine. Mais l’absence de coopération de Moscou et la protection dont bénéficie Poutine rendent l’exercice hautement complexe.
Les défis juridiques et politiques
La principale difficulté réside dans l’extraterritorialité : comment juger un chef d’État qui ne reconnaît pas la légitimité du tribunal et ne risque pas d’être extradé ? Les précédents montrent que la justice internationale dépend largement du rapport de force politique et de la volonté des États. L’exemple d’Omar el-Béchir, resté longtemps intouchable malgré un mandat d’arrêt de la CPI, en témoigne.
Le tribunal devra aussi garantir un procès équitable, respecter les droits de la défense et éviter toute instrumentalisation politique. Les partisans de la démarche insistent sur la nécessité de préserver l’universalité du droit, au risque sinon de voir la justice internationale accusée de « deux poids, deux mesures ».
Un signal fort pour l’Afrique et le Sud global
L’initiative européenne est observée avec attention en Afrique, où de nombreux dirigeants dénoncent la partialité de la justice internationale, souvent accusée de cibler prioritairement les Africains. La poursuite de Poutine, chef d’un État membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, pourrait changer la donne et redonner du crédit à l’universalité du droit.

Mais la prudence reste de mise : certains pays africains, alliés de la Russie ou critiques de l’Occident, pourraient refuser de coopérer avec le tribunal ou accueillir Poutine sans risque d’arrestation. La question de l’indépendance et de la cohérence de la justice internationale reste donc entière.
Les répercussions géopolitiques
Au-delà du cas ukrainien, la création de ce tribunal pourrait ouvrir la voie à de nouvelles poursuites pour crimes d’agression, y compris dans d’autres régions du monde. Elle pose aussi la question de la réforme du système international : place du Conseil de sécurité, responsabilité des grandes puissances, égalité devant la loi.
Pour l’Afrique, souvent théâtre de conflits armés et d’ingérences, la possibilité de voir tous les auteurs de crimes poursuivis, quel que soit leur rang, serait un progrès majeur. Mais elle suppose une volonté politique partagée, des moyens financiers et une mobilisation internationale durable.
Conclusion
Le tribunal spécial pour l’Ukraine est une avancée symbolique et juridique majeure, mais sa réussite dépendra de sa capacité à surmonter les obstacles politiques et à garantir une justice impartiale. Pour l’Afrique et le monde, il représente un espoir de voir enfin l’universalité du droit s’imposer face à la raison d’État.