La souveraineté alimentaire, concept longtemps cantonné aux discours militants, s’impose aujourd’hui comme un impératif stratégique pour l’Afrique. Face à l’explosion démographique, aux chocs climatiques, à la dépendance croissante aux importations et aux crises géopolitiques, la question de « qui nourrit l’Afrique » devient centrale. Ce dossier propose une plongée dans les enjeux, les stratégies, les réussites et les obstacles d’un continent en quête d’autonomie alimentaire.
Une dépendance structurelle dangereuse
L’Afrique importe chaque année plus de 60 milliards de dollars de denrées alimentaires, principalement des céréales, du riz, du blé et du maïs. Cette dépendance expose les pays africains aux fluctuations des marchés mondiaux, à la spéculation et aux crises logistiques, comme l’a montré la guerre en Ukraine. En 2022-2023, la flambée des prix du blé et des engrais a provoqué des tensions sociales, des pénuries et des émeutes dans plusieurs pays du Sahel et d’Afrique du Nord.
Les racines du problème
La souveraineté alimentaire ne se résume pas à la capacité de produire suffisamment pour nourrir la population. Elle implique aussi la maîtrise des filières, la valorisation des produits locaux, la protection des terres agricoles, la lutte contre l’accaparement foncier et la promotion de modèles agricoles adaptés aux réalités africaines.
Le continent souffre d’un morcellement des exploitations, d’un accès limité au crédit, à l’irrigation et aux intrants de qualité, d’un manque d’infrastructures de stockage et de transport, ainsi que d’une faible valorisation des produits transformés localement. Les politiques agricoles, trop souvent dictées par l’extérieur, peinent à soutenir les petits producteurs, qui assurent pourtant 70 % de l’alimentation.
Des initiatives innovantes et des succès locaux
Pourtant, l’Afrique regorge d’initiatives innovantes. Au Sénégal, la « Grande Muraille Verte » combine reboisement, agroécologie et développement rural pour restaurer les terres dégradées. Au Nigeria, la filière du manioc et du riz local bénéficie d’investissements publics et privés, réduisant la dépendance aux importations. En Éthiopie, la stratégie de « Productive Safety Net » soutient les petits paysans face aux chocs climatiques.
Les coopératives féminines, les startups agri-tech, les plateformes de microfinance et les marchés numériques bouleversent les circuits traditionnels. Les politiques de « manger local » gagnent du terrain, portées par les villes et les consommateurs urbains.
Les défis de la transformation
La bataille pour la souveraineté alimentaire est loin d’être gagnée. Les défis sont multiples :
- Accès à la terre et réforme foncière
- Financement de la production et de la transformation
- Formation des agriculteurs et transfert de technologies
- Résilience face au changement climatique
- Intégration régionale et harmonisation des normes
- Lutte contre le gaspillage et les pertes post-récolte
La jeunesse africaine, qui représente plus de 60 % de la population, doit être au cœur de cette transformation. L’agriculture doit devenir attractive, rentable et innovante, pour éviter l’exode rural et créer des millions d’emplois.
Vers une souveraineté alimentaire panafricaine ?
La Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) offre une opportunité unique d’intégrer les marchés, de mutualiser les ressources et de bâtir des chaînes de valeur régionales. Mais la réussite passera par la volonté politique, la coopération Sud-Sud et l’implication des acteurs locaux.
La souveraineté alimentaire n’est pas un luxe, mais une condition de la paix, de la stabilité et du développement durable du continent. L’Afrique a les terres, les talents et les innovations pour se nourrir elle-même et nourrir le monde. Le défi est immense, mais la dynamique est enclenchée.
