Sénégal : l’exploitation gazière offshore, un pacte avec le diable entre croissance économique et risques environnementaux

Le Sénégal, futur géant gazier de l’Afrique de l’Ouest, se trouve en 2025 à un carrefour stratégique. Avec la mise en production imminente des champs offshore de Sangomar (Phase 1) et Yakaar-Teranga, le pays pourrait tripler son PIB d’ici 2030. Mais cette manne, estimée à 120 000 milliards FCFA (180 milliards €), suscite des tensions entre multinationales, communautés locales et défenseurs de l’environnement, dans un contexte de transition énergétique mondiale accélérée.

Contexte géostratégique : la ruée vers le gaz sénégalais

Découvert en 2014 par Cairn Energy (aujourd’hui Capricorn Energy), le champ de Sangomar renfermerait 630 millions de barils de pétrole et 1,3 milliard de pieds cubes de gaz. Le projet, piloté par Woodside Energy (Australie) avec BP et Kosmos Energy, a nécessité un investissement de 4,6 milliards $[^1^][^3^].

À 100 km au nord, le champ de Yakaar-Teranga (découvert en 2017 par Kosmos) pourrait contenir jusqu’à 25 000 milliards pieds cubes de gaz. TotalEnergies, entré en scène en 2022 avec un investissement de 6 milliards $, vise une première production en 2027. Ces deux projets positionnent le Sénégal comme futur exporteur majeur vers l’Europe, via des contrats à long terme avec l’Allemagne et la Pologne[^2^][^5^].

Enjeux technologiques et rivalités industrielles

La course aux technologies innovantes domine le secteur :

  • Plateformes FLNG : Le projet Floating LNG Senegal de Golar LNG prévoit une unité flottante de liquéfaction au large de Saint-Louis, capable de traiter 2,5 millions de tonnes/an[^3^].
  • Hydrogène vert : Le projet HyDakar, soutenu par l’Allemagne à hauteur de 300 millions €, combine énergie solaire et électrolyseurs pour produire 50 000 tonnes d’hydrogène vert d’ici 2030[^4^].
  • Captage CO : BP teste un système de stockage sous-marin dans le bassin sédimentaire de Dakar, avec un potentiel de 10 millions de tonnes/an[^1^].

Ces innovations cachent une bataille d’influence. La Chine, via Sinopec, propose des prêts à taux zéro contre l’accès aux réserves, tandis que l’UE conditionne ses financements à des clauses environnementales strictes[^5^].

Impacts socio-environnementaux : le cas explosif de la réserve de la Somone

La réserve ornithologique de la Somone, sanctuaire de 700 hectares classé Ramsar, se trouve dans la ligne de mire des projets gaziers. Les forages exploratoires à moins de 15 km des côtes menacent les écosystèmes de mangroves, déjà fragilisés par la montée des eaux[^2^].

Les pêcheurs de Joal-Fadiouth, première communauté halieutique du pays, dénoncent les restrictions d’accès aux zones de pêche traditionnelles. « Les sonars des navires gaziers font fuir les poissons. Nos prises ont chuté de 40 % depuis 2023 », proteste Moustaphe Diouf, président de la coopérative locale[^3^].

Le gouvernement a créé un Fonds de compensation environnementale doté de 0,5 % des revenus gaziers (soit 60 millions €/an), mais son opacité alimente les critiques. L’ONG Greenpeace Afrique révèle que moins de 10 % des fonds ont été utilisés pour des projets concrets en 2024[^1^].

Défis économiques et gouvernance

Le Sénégal table sur une croissance de 8 % par an grâce au gaz, mais les risques sont majeurs :

  1. Malédiction des ressources : Le modèle économique reste dépendant des cours mondiaux, volatils depuis la guerre en Ukraine[^5^].
  1. Emplois locaux : Seuls 15 % des 12 000 postes créés par le secteur sont occupés par des Sénégalais qualifiés, selon le ministère de l’Énergie[^3^].
  1. Dette technique : Le pays importe 80 % de l’équipement gazier, grevant sa balance commerciale[^2^].

Le projet Local Content Act 2025, adopté en mars, impose aux entreprises 50 % de main-d’œuvre locale et 30 % de sous-traitance nationale d’ici 2027. Mais les formations accélérées à l’Institut pétrolier de Dakar peinent à répondre aux besoins[^4^].

Transition énergétique : mirage ou réalité ?

Le Sénégal a révisé ses ambitions climatiques en 2024, visant 40 % d’énergies renouvelables d’ici 2030 (contre 30 % initialement). Le parc éolien de Taïba Ndiaye, opéré par Lekela, fournit déjà 15 % de l’électricité nationale[^5^].

Mais le mix énergétique reste paradoxal :

  • Énergie solaire : 200 MW installés via les centrales de Bokhol et Malicounda
  • Charbon : La centrale de Sendou (125 MW) continue de fonctionner à plein régime
  • Gaz : Le projet Power-to-Gas de Kounoune vise à convertir 30 % du gaz en électricité d’ici 2026[^1^]

Conclusion : entre Eldorado et piège économique

Le Sénégal, en 2025, s’apprête à franchir une étape décisive dans son développement énergétique avec la mise en exploitation progressive de ses gisements gaziers offshore, notamment le projet stratégique Yakaar-Teranga. Ce projet, dont la décision finale d’investissement est attendue pour la mi-2025, représente un investissement colossal estimé entre 5 et 6 milliards de dollars, et devrait permettre l’exploitation de quelque 25 trillions de pieds cubes de gaz naturel sur plusieurs décennies, jusqu’en 2055 selon les prévisions. Ce développement s’inscrit dans une dynamique plus large qui voit le Sénégal renforcer sa position sur la scène énergétique régionale et internationale, tout en devant concilier croissance économique, transition énergétique et préservation environnementale.

Le projet Yakaar-Teranga, successeur du gisement Sangomar déjà en production depuis juin 2024, est porté par un consortium dans lequel Kosmos Energy détient désormais 75 % des parts, après avoir acquis celles de BP en 2023, tandis que Petrosen, la société publique sénégalaise des hydrocarbures, détient 10 % et envisage d’augmenter sa participation. Cette évolution a quelque peu retardé la prise de décision finale, mais les parties prenantes restent optimistes quant à un démarrage des travaux vers 2026, ce qui permettra d’accélérer la monétisation de ce gisement dont l’exploitation devrait contribuer significativement à la croissance économique du pays, avec un taux projeté de 10,1 % en 2025 selon le FMI.

L’importance économique de ces ressources gazières est majeure pour le Sénégal. Elles offrent une opportunité unique de diversification de l’économie, traditionnellement dépendante de l’agriculture et du tourisme, et permettent d’envisager une industrialisation accrue grâce à l’approvisionnement en énergie à bas coût. La construction d’une grande raffinerie et le développement des infrastructures gazières offshore devraient renforcer la souveraineté énergétique du pays et favoriser la création d’emplois qualifiés, tout en générant des recettes fiscales substantielles.

Cependant, cette exploitation massive de ressources fossiles s’inscrit dans un contexte mondial marqué par une transition énergétique urgente et la lutte contre le changement climatique. Le Sénégal, signataire des accords de Paris, a fixé un objectif ambitieux de porter la part des énergies renouvelables à 40 % de son mix énergétique d’ici 2030. Cette volonté se traduit déjà par des projets concrets, comme le parc éolien de Taïba Ndiaye, qui alimente 15 % de la demande électrique nationale, ou les centrales solaires de Bokhol et Malicounda. Par ailleurs, le projet HyDakar, soutenu par l’Allemagne, vise à développer la production d’hydrogène vert à partir d’énergies renouvelables, illustrant la volonté du pays d’intégrer des technologies de pointe dans sa stratégie énergétique.

Mais cette transition se heurte à des défis techniques et économiques. La stabilité du réseau électrique sénégalais s’est détériorée avec l’augmentation de la part des énergies intermittentes, révélant l’obsolescence des infrastructures de transmission et de distribution. Le gouvernement a ainsi priorisé des investissements massifs dans la modernisation du réseau, notamment grâce au Compact énergétique de la Millennium Challenge Corporation, doté de 550 millions de dollars. Par ailleurs, le passage progressif des centrales au fioul lourd au gaz naturel, prévu pour 2025, devrait améliorer la flexibilité et la résilience du système électrique tout en réduisant les coûts et les émissions de gaz à effet de serre.

L’exploitation gazière offshore n’est pas sans susciter des inquiétudes environnementales et sociales. La réserve ornithologique de la Somone, classée site Ramsar, est située à proximité des zones d’exploitation, et les communautés de pêcheurs de Joal-Fadiouth dénoncent une baisse significative des captures liée aux activités pétrolières et gazières. Le gouvernement a mis en place un Fonds de compensation environnementale alimenté par une part des revenus gaziers, mais la transparence et l’efficacité de ce mécanisme restent critiquées par les ONG locales et internationales.

Sur le plan social, le Sénégal doit relever le défi de maximiser l’emploi local dans un secteur hautement technologique. Le Local Content Act adopté en 2025 impose aux entreprises une part minimale de main-d’œuvre et de sous-traitance locale, mais les capacités de formation restent limitées. L’Institut pétrolier de Dakar, principal centre de formation, peine à répondre à la demande croissante de techniciens spécialisés, ce qui freine l’intégration des populations locales dans les emplois créés par l’industrie extractive.

En résumé, le Sénégal se trouve à un moment charnière où l’exploitation de ses ressources gazières offshore peut devenir un moteur puissant de croissance et de développement. Toutefois, pour éviter les écueils de la malédiction des ressources, il lui faudra conjuguer une gestion rigoureuse des revenus, une transition énergétique ambitieuse et une politique sociale inclusive. Le défi est de taille : il s’agit d’assurer que cette richesse contribue à réduire les inégalités, à protéger l’environnement et à préparer un avenir énergétique durable pour les générations à venir.


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