Le Nigeria, première économie d’Afrique, fait face depuis 2025 à une prolifération sans précédent des cyberattaques, menaçant sa stabilité financière et sa réputation internationale. Les « Yahoo Boys », ces escrocs 2.0 spécialisés dans l’hameçonnage et les fraudes aux sentiments, ont perfectionné leurs méthodes, exploitant la fracture numérique et la précarité économique d’une jeunesse diplômée mais désœuvrée. Selon la Commission nigériane des communications (NCC), les pertes annuelles liées à la cybercriminalité dépassent désormais 500 millions de dollars, affectant particulièrement les PME et les institutions publiques.
La crise trouve ses racines dans un paradoxe : le Nigeria, qui compte 200 000 développeurs formés chaque année, voit 40 % de ses talents tech tentés par des activités illégales, selon une étude de la Chambre du commerce de Lagos. Les plateformes comme Instagram et Tinder sont devenues des terrains de chasse privilégiés pour les « romance scams », où des jeunes filles recrutées dans les cybercafés de Benin City extorquent des milliers d’euros à des victimes européennes. Le phénomène, initialement cantonné à l’État d’Edo, s’est étendu aux régions du Nord, où des groupes affiliés à Boko Haram utilisent désormais le blanchiment cryptographique pour financer leurs activités.
Face à cette menace, le gouvernement a lancé en 2024 le Programme national de cybersécurité, doté de 50 millions de dollars, visant à former 100 000 experts en sécurité informatique d’ici 2026. Les universités de Lagos et d’Abuja ont introduit des cursus certifiés par l’Union internationale des télécommunications (UIT), tandis que la start-up CyberSafe Africa développe des solutions anti-phishing adaptées aux langues locales. Pourtant, les obstacles persistent : moins de 15 % des entreprises nigérianes disposent de protocoles de sécurité conformes aux normes internationales, et la coopération transfrontalière reste entravée par des législations inadaptées.
L’enjeu dépasse les frontières nationales. La Banque centrale du Nigeria (CBN) a signalé en mars 2025 une attaque coordonnée contre le système de paiement instantané NIP, affectant 2 millions de transactions. Les groupes criminels, souvent basés au Ghana ou en Côte d’Ivoire, utilisent des serveurs proxy en Russie pour brouiller les pistes. Cette internationalisation du crime cybernétique a poussé la CEDEAO à adopter un cadre juridique harmonisé, inspiré de la Convention de Budapest, mais son application tarde face aux résistances politiques.
Les solutions passent par un équilibre entre répression et prévention. À Abeokuta, des ONG comme Tech4Good réinsèrent d’anciens hackers dans l’économie légale via des incubateurs spécialisés dans la blockchain. Le projet NaijaSecure, financé par la Banque mondiale, équipe les écoles secondaires de kits pédagogiques sur les risques numériques. Mais ces initiatives peinent à contrer l’attrait de l’« argent facile », symbolisé par le luxe ostentatoire des cybercriminels, devenus des modèles dans les quartiers populaires.