Chapeau
La rupture entre le Niger et le groupe français Orano sur l’exploitation de l’uranium cristallise un bras de fer emblématique de la volonté des autorités nigériennes de reprendre le contrôle de leurs ressources naturelles. Ce conflit met en lumière les aspirations souverainistes du Niger, décidé à tourner la page d’une longue histoire de dépendance et à redéfinir ses relations économiques avec les acteurs étrangers.
Un bras de fer autour de l’uranium nigérien
Depuis l’arrivée au pouvoir de la junte militaire en 2023, la question de l’exploitation de l’uranium est devenue centrale dans la politique économique du Niger. Le pays, troisième producteur africain de ce minerai stratégique, a longtemps vu ses ressources exploitées principalement par des groupes étrangers, au premier rang desquels Orano, détenu à 90 % par l’État français12.
Le régime du général Abdourahamane Tiani affiche désormais une volonté claire : reprendre la main sur la gestion et la valorisation de ses richesses naturelles. En juin 2024, Niamey a retiré à Orano son permis d’exploitation du gisement d’Imouraren, l’un des plus importants au monde, estimé à 200 000 tonnes d’uranium125. Cette décision s’inscrit dans une démarche de souveraineté économique et de rupture avec les pratiques héritées de la période coloniale.
Une politique nationaliste assumée
Pour les autorités nigériennes, il s’agit de mettre fin à une situation jugée inéquitable, où la majeure partie des bénéfices de l’exploitation minière échappait au pays. La junte critique ouvertement le modèle de partenariat avec Orano, estimant que le Niger n’a reçu qu’une « obole » en échange de la cession de ses ressources stratégiques25. Cette position est partagée par une grande partie de la société civile, qui réclame plus de transparence et une redistribution équitable des revenus miniers.
« Après des décennies de pillage colonial, nous voulons reprendre le contrôle de notre destin économique et social », déclare un responsable du ministère nigérien des Mines.
La prise de contrôle des filiales locales, notamment la Somaïr, et la suspension des activités d’Orano ont été perçues comme des actes forts de réaffirmation de la souveraineté nationale.
Des tensions croissantes avec Orano et la France
Face à cette politique de rupture, Orano a exprimé sa « très grande préoccupation » pour la sécurité de ses équipes et l’avenir de ses investissements au Niger12. Le groupe français, qui détenait la majorité dans trois filiales locales (Somaïr, Cominak, Imouraren), a vu ses bureaux perquisitionnés et l’accès à ses sites restreint par les autorités nigériennes.
En réponse au retrait de son permis d’exploitation, Orano a engagé deux arbitrages internationaux contre l’État du Niger, dénonçant « l’ingérence des autorités » et la perte de près de 1 300 tonnes de concentré d’uranium, d’une valeur de 250 millions d’euros, bloquées sur le site de la Somaïr

Le gouvernement nigérien, de son côté, reproche à Orano un manque de transparence et des décisions unilatérales, notamment la suspension de la production sans consultation de la société d’État Sopamin, actionnaire minoritaire67. Cette situation a encore tendu les relations avec la France, ex-puissance coloniale, que la junte accuse de défendre avant tout ses intérêts stratégiques.
Vers de nouveaux partenariats et une diversification des alliances
Le Niger ne cache pas sa volonté de diversifier ses partenaires internationaux. Les autorités de Niamey ont multiplié les contacts avec d’autres puissances, comme la Russie ou l’Iran, pour développer une coopération minière plus avantageuse et moins dépendante des anciens schémas de domination.
Cette stratégie s’inscrit dans une dynamique plus large observée au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), où plusieurs gouvernements militaires cherchent à reprendre la main sur leurs ressources naturelles et à redéfinir les règles du jeu avec les investisseurs étrangers. Le cas du Niger pourrait ainsi inspirer d’autres pays de la région, soucieux de contrôler leur destin économique.
Les enjeux pour l’avenir des investissements étrangers
La crise entre Orano et le Niger pose la question de l’avenir des investissements étrangers dans un contexte de montée des revendications souverainistes. Pour les entreprises internationales, la sécurité juridique et la stabilité des partenariats deviennent des enjeux majeurs. Pour les pays africains, il s’agit de trouver un équilibre entre attractivité économique et défense de la souveraineté nationale.
Le Niger, en affirmant sa volonté de contrôler l’exploitation de son uranium, cherche à maximiser les retombées pour sa population et à rompre avec une logique de dépendance. Mais cette transition comporte des risques : perte de revenus à court terme, difficultés techniques et financières pour assurer l’exploitation autonome des gisements, et incertitudes sur l’avenir des relations avec les anciens partenaires.

Conclusion
Le bras de fer entre Orano et la junte nigérienne illustre la recomposition en cours des relations économiques entre l’Afrique et les puissances étrangères. Le Niger, à l’image d’autres États africains, revendique le droit de maîtriser ses ressources et de choisir ses partenaires. Cette quête de souveraineté, si elle se confirme, pourrait marquer un tournant historique pour la région et pour l’ensemble du continent.