Une annonce choc du ministre de l’Intérieur
Le 23 mai 2025, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a relancé le débat sur la lutte contre le narcotrafic en France en proposant une mesure radicale : la suppression progressive de l’argent liquide dans les transactions du quotidien. Selon lui, « l’argent liquide, c’est le nerf de la guerre » pour les réseaux de drogue, qui utilisent les espèces pour blanchir les profits du trafic, payer les intermédiaires et échapper au contrôle de l’État. Cette déclaration, faite sur RTL, a immédiatement suscité de vives réactions dans la classe politique, chez les experts de la sécurité, mais aussi au sein de la société civile.
Pourquoi l’argent liquide est-il au cœur du narcotrafic ?
Le trafic de stupéfiants génère chaque année des milliards d’euros en France, selon l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT). La majeure partie de ces revenus circule en espèces, car l’argent liquide offre l’anonymat, facilite les transactions rapides et rend le blanchiment plus difficile à tracer. Les dealers, les grossistes et les « nourrices » (personnes chargées de stocker l’argent ou la marchandise) utilisent les billets pour rémunérer les complices, acheter des biens ou corrompre des agents.
Les mesures déjà en place et leurs limites
Depuis plusieurs années, la France a renforcé la lutte contre le blanchiment d’argent : limitation des paiements en espèces (à 1 000 euros pour les particuliers), obligation de déclaration pour les dépôts et retraits importants, contrôles accrus dans les secteurs sensibles (immobilier, luxe, voitures de sport). La police judiciaire, Tracfin (cellule de renseignement financier) et les douanes multiplient les enquêtes et les saisies de cash. Mais les réseaux s’adaptent, en fractionnant les transactions, en utilisant des prête-noms ou en exportant l’argent à l’étranger.
Supprimer l’argent liquide : une solution efficace ?
Pour Gérald Darmanin, la suppression de l’argent liquide permettrait de « tarir la source » du narcotrafic, en obligeant les trafiquants à utiliser des moyens de paiement traçables (cartes bancaires, virements, cryptomonnaies). Cette mesure s’inscrit dans une tendance mondiale : la Suède, le Danemark ou la Norvège sont déjà largement passés au « cashless », avec des effets positifs sur la criminalité financière. Mais la France, pays attaché à la liberté des paiements et à la protection de la vie privée, reste réticente à une disparition totale du cash.
Les risques et les critiques
Les opposants à la suppression de l’argent liquide mettent en avant plusieurs arguments :
- Atteinte à la liberté individuelle : le paiement en espèces est perçu comme un droit fondamental, garant de l’anonymat et de la confidentialité des achats.
- Exclusion sociale : de nombreux Français, notamment les personnes âgées, précaires ou non bancarisées, dépendent du cash pour leurs transactions quotidiennes.
- Développement du marché noir : priver les citoyens d’espèces pourrait pousser certains à recourir à des monnaies alternatives, à la cryptomonnaie ou à des systèmes informels.
- Sécurité des données : la généralisation des paiements électroniques pose la question de la protection contre la fraude, le piratage et la surveillance de masse.
Les enjeux pour la lutte contre le narcotrafic
Malgré ces critiques, de nombreux experts estiment que la réduction de la circulation du cash serait un atout majeur dans la lutte contre le trafic de drogue. En rendant plus difficile le blanchiment, en facilitant la traçabilité des flux financiers et en compliquant la rémunération des complices, l’État pourrait fragiliser les réseaux criminels. Mais cette mesure ne suffira pas à elle seule : il faudra aussi renforcer la coopération internationale, lutter contre la corruption, améliorer la prévention et offrir des alternatives économiques dans les quartiers touchés.
Le point de vue des forces de l’ordre
Les policiers, magistrats et douaniers saluent la volonté politique de s’attaquer au nerf de la guerre du narcotrafic. Mais ils rappellent que les trafiquants sont capables d’innover : recours à la cryptomonnaie, troc, détournement de cartes prépayées, etc. La lutte contre la drogue exige donc une adaptation permanente des outils et des méthodes, ainsi qu’un investissement massif dans la formation et les moyens techniques.
Les conséquences pour la société
La suppression de l’argent liquide aurait des effets bien au-delà de la lutte contre la drogue. Elle transformerait en profondeur les habitudes de consommation, la relation à l’argent, la fiscalité et la vie quotidienne. Les commerçants, les artisans, les professions libérales devraient s’adapter à de nouveaux outils de paiement, parfois coûteux ou complexes. Les citoyens devraient renoncer à une part de leur autonomie et accepter une plus grande transparence financière.
Les perspectives européennes et internationales
La France n’est pas seule à s’interroger sur le futur du cash. L’Union européenne prépare une réglementation sur les paiements en espèces, les cryptomonnaies et la lutte contre le blanchiment. Les institutions internationales (FATF, FMI) encouragent la transition vers des économies plus transparentes, mais insistent sur la nécessité de protéger les populations vulnérables et de garantir l’inclusion financière.
Conclusion : entre efficacité et libertés, un débat de société
La proposition de Gérald Darmanin de supprimer l’argent liquide pour lutter contre le narcotrafic relance un débat complexe, à la croisée de la sécurité, de l’économie et des libertés individuelles. Si la mesure peut fragiliser les réseaux criminels, elle pose aussi des questions fondamentales sur le modèle de société que la France souhaite défendre. Le défi sera de trouver un équilibre entre efficacité et respect des droits, dans un contexte de mutation rapide des pratiques criminelles et financières.