DAKAR, Sénégal – Alors que l’Afrique s’apprête à entrer dans le dernier quart de la décennie 2020, les mouvements migratoires sur le continent prennent une ampleur sans précédent. Un phénomène qui soulève autant de défis que d’opportunités pour les pays africains.
« L’Afrique a connu une augmentation de 25% de l’immigration intra-africaine au cours de la dernière décennie », révèle le Dr. Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement, citant les dernières estimations de l’ONU. « Nous sommes passés de 12 millions de migrants en 2015 à 15 millions en 2024, et cette tendance devrait se poursuivre. »
Les moteurs de la migration
Plusieurs facteurs expliquent cette intensification des flux migratoires :
- La croissance démographique : « La population africaine devrait augmenter de 70% d’ici 2050 », rappelle le Pr. Jakkie Cilliers, fondateur de l’Institute for Security Studies en Afrique du Sud. « Cette pression démographique pousse de nombreux jeunes à chercher des opportunités ailleurs. »
- Les disparités économiques : Les écarts de développement entre pays africains incitent de nombreux travailleurs à migrer vers les pôles économiques du continent.
- Le changement climatique : « Près de 10% des migrations transfrontalières en Afrique d’ici 2050 seront liées au climat », prévient Mme Dina Ionesco, cheffe de la division Migration, environnement et changement climatique à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
- L’instabilité politique : Les coups d’État et les conflits dans certaines régions alimentent les flux migratoires, comme l’illustrent les cas du Mali et de la Guinée.
Les défis posés par la migration
Cette intensification des mouvements migratoires soulève plusieurs défis pour les pays africains :
- La pression sur les infrastructures et les services publics dans les pays d’accueil
- Les tensions sociales potentielles entre populations locales et migrantes
- La fuite des cerveaux pour les pays d’origine
- La gestion des frontières et la lutte contre les réseaux de trafic d’êtres humains
« À Nairobi, l’afflux de migrants pose des défis en termes de logement et d’accès aux services de base », témoigne John Muthomi, responsable de l’urbanisme dans la capitale kényane. « Nous devons adapter nos politiques urbaines à cette nouvelle réalité. »
Les opportunités offertes par la migration
Malgré ces défis, la migration intra-africaine présente aussi des opportunités :
- Le transfert de compétences et de connaissances
- La stimulation de l’innovation et de l’entrepreneuriat
- Le renforcement des liens économiques entre pays africains
- La contribution des diasporas au développement des pays d’origine
« Les migrants africains sont souvent des vecteurs d’innovation et de dynamisme économique », souligne Mme Minata Samate Cessouma, commissaire aux Affaires politiques de l’Union africaine. « Ils contribuent à la diversification des économies d’accueil. »
Vers une gestion concertée des migrations
Face à l’ampleur du phénomène, les pays africains s’efforcent de mettre en place des politiques migratoires plus coordonnées :
- Renforcement du protocole sur la libre circulation des personnes de la CEDEAO
- Développement de programmes de migration circulaire entre pays africains
- Amélioration de la reconnaissance mutuelle des diplômes et des qualifications professionnelles
- Coopération accrue dans la lutte contre les réseaux de trafic d’êtres humains
« Nous devons passer d’une approche sécuritaire à une gestion plus globale des migrations », plaide M. Boubacar Seybou, directeur de l’Observatoire du Sahel et du Sahara. « C’est une opportunité pour renforcer l’intégration régionale. »
Perspectives pour 2025 et au-delà
Alors que l’Afrique s’apprête à célébrer le 50e anniversaire de la CEDEAO, la question migratoire s’impose comme un enjeu central pour l’avenir du continent. De la capacité des pays africains à gérer efficacement ces flux dépendra en grande partie la réalisation des objectifs de développement durable et l’intégration économique régionale.
« La migration est un phénomène inéluctable », conclut le Dr. Ibrahim Mayaki, ancien Premier ministre du Niger et secrétaire exécutif de l’AUDA-NEPAD. « Notre défi est d’en faire un levier de développement pour l’Afrique, plutôt qu’une source de tensions. »
Alors que 2025 s’annonce comme une année charnière pour le continent, avec notamment la mise en œuvre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), la gestion des migrations intra-africaines apparaît plus que jamais comme un enjeu crucial pour l’avenir de l’Afrique.
