Mali : renaissance culturelle post-jihadiste et enjeux patrimoniaux

Après une décennie d’occupation jihadiste dans le Nord, le Mali vit depuis 2023 une renaissance culturelle inédite, mêlant préservation du patrimoine et création contemporaine. La réouverture des mausolées de Tombouctou, détruits par Ansar Dine en 2012, symbolise cette résilience. Soutenue par l’UNESCO et la Banque islamique de développement, la reconstruction a mobilisé des maçons traditionnels, gardiens des techniques ancestrales de la « banco-architecture », et formé 200 jeunes aux métiers du patrimoine.

Cette revitalisation s’inscrit dans un contexte politique fragile. La transition militaire, au pouvoir depuis 2020, instrumentalise la culture comme outil de légitimation, finançant des festivals comme le Rencontres africaines de la photographie à Bamako, tout en censurant les artistes critiques. Le rappeur Master Soumy, exilé en France après son tube « Soldat de la rue » dénonçant la corruption, incarne ce paradoxe d’une créativité à la fois encouragée et contrôlée.

Le patrimoine manuscrit reste au cœur des enjeux. Les 400 000 documents médiévaux de Tombouctou, sauvés des flammes par des familles de bibliothécaires, font l’objet d’une course contre la montre. Le projet Sauvegarde des manuscrits du Mali, doté de 10 millions d’euros par l’UE, combine numérisation 3D et formations en paléographie arabe. Pourtant, des collectionneurs européens peu scrupuleux profitent de la crise pour acquérir illégalement des pièces rares, alimentant un trafic estimé à 15 millions de dollars annuels par Interpol.

La culture comme vecteur de réconciliation prend forme dans les régions reconquises. À Gao, le théâtre-forum Donniya permet à d’anciens combattants et victimes de co-créer des spectacles sur la mémoire du conflit. Le musée national du Mali a lancé une collection d’« art jihadiste », exposant des armes transformées en installations par des artistes locaux. Ces initiatives peinent cependant à toucher les zones rurales, où les groupes armés imposent encore leur loi culturelle, interdisant la musique et les festivals.

L’économie créative émerge comme levier de développement. La bijouterie traditionnelle dogon, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2024, génère 5 000 emplois directs grâce à des plateformes e-commerce comme AfriArtMarket. Le gouvernement mise sur le tourisme culturel, réhabilitant la Route de l’Or et du Sel, mais les attentats récurrents contre les convois touristiques rappellent les limites de cette stratégie.


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