Introduction
L’Afrique de l’Ouest possède l’un des plus riches écosystèmes marins de la planète. Pourtant, ses côtes sont aujourd’hui le théâtre d’une crise majeure : la raréfaction du poisson, la dégradation des fonds marins et la précarisation croissante des pêcheurs artisanaux. À l’origine de cette situation, la pression croissante de la pêche industrielle occidentale et chinoise, la pêche illégale, la faiblesse de la gouvernance et les effets du changement climatique. Ce dossier analyse les causes de la crise, ses conséquences économiques et sociales, et propose des solutions concrètes pour permettre aux pêcheurs traditionnels de survivre et de prospérer dans un environnement de plus en plus hostile.
1. La pêche en Afrique de l’Ouest : un pilier économique et social menacé
1.1. Un secteur vital
La pêche représente une source essentielle de protéines et d’emplois pour des millions d’Africains de l’Ouest. Au Sénégal, en Mauritanie, au Ghana, en Guinée ou en Côte d’Ivoire, elle contribue à la sécurité alimentaire, à l’économie locale et à la cohésion sociale. Selon la FAO, plus de 7 millions de personnes vivent directement ou indirectement de la pêche artisanale dans la région45.
1.2. L’essor de la pêche industrielle
Depuis les années 1980, les eaux ouest-africaines attirent des flottes industrielles européennes, russes et surtout chinoises. Ces navires, souvent des chalutiers de fond, disposent d’une capacité de capture sans commune mesure avec celle des pirogues locales. Ils ciblent les mêmes espèces que les pêcheurs artisanaux, mais opèrent à grande échelle, souvent dans l’illégalité ou en violation des zones réservées125.
1.3. La pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN)
La pêche INN est estimée à près de 40 % des captures dans certains pays d’Afrique de l’Ouest. Elle est facilitée par la corruption, la faiblesse des moyens de surveillance et la signature d’accords opaques entre États et armateurs étrangers.
2. Les conséquences de la surpêche industrielle
2.1. Effondrement des stocks halieutiques
La surexploitation a conduit à une réduction de près de 57 % des populations de poissons exploitées au Sénégal, par exemple1. Les espèces les plus touchées sont les petits pélagiques (sardinelles, bonga), essentiels à la sécurité alimentaire régionale, mais aussi prisés par l’industrie de la farine et de l’huile de poisson (FMFO) pour l’exportation vers l’Europe et l’Asie45.

2.2. Dégradation des écosystèmes
Le chalutage de fond, pratiqué notamment par les navires chinois, détruit les habitats marins, soulève les sédiments et provoque des prises accessoires massives, décimant la biodiversité128. Ces pratiques compromettent la résilience des écosystèmes et la capacité de renouvellement des stocks.
2.3. Paupérisation des communautés côtières
La raréfaction du poisson prive les pêcheurs artisanaux de leur principale source de revenus. Les prix augmentent sur les marchés locaux, la consommation de poisson chute (de 29 kg à 17,8 kg/habitant/an au Sénégal), et la sécurité alimentaire est menacée14. Les conflits entre pêcheurs artisanaux et industriels se multiplient, parfois avec des conséquences mortelles5.
2.4. Pression migratoire
Face à l’effondrement de leur activité, de nombreux jeunes pêcheurs choisissent l’exil, notamment vers l’Europe, au péril de leur vie1.
3. Les responsabilités : entre accords internationaux et gouvernance locale
3.1. Les accords de pêche
L’Union européenne et la Chine signent chaque année des accords avec les États côtiers africains, leur permettant d’exploiter les ressources halieutiques moyennant des compensations financières. Ces accords sont souvent négociés sans transparence, au détriment des pêcheurs locaux46.
3.2. Le rôle des États africains
La faiblesse des moyens de surveillance, la corruption et le manque de volonté politique favorisent la prolifération de la pêche illégale et la signature d’accords déséquilibrés. Les zones réservées aux pêcheurs artisanaux (souvent 6 miles nautiques) sont régulièrement violées par les industriels35.
4. Solutions et perspectives pour la survie des pêcheurs traditionnels
4.1. Renforcer la gouvernance et la transparence
- Transparence des accords : Rendre publics tous les accords de pêche, impliquer les communautés locales et la société civile dans leur négociation et leur suivi6.
- Lutte contre la corruption : Renforcer les institutions de contrôle, former et équiper les agents de surveillance des pêches.
4.2. Protéger les zones de pêche artisanale
- Extension des zones réservées : Porter à 12 miles nautiques la zone d’exclusion pour les industriels, comme le réclament de nombreuses organisations de pêcheurs35.
- Surveillance maritime : Utiliser les technologies de suivi par satellite, drones, et renforcer la coopération régionale pour lutter contre la pêche INN.
4.3. Soutenir la pêche artisanale et l’innovation locale
- Financement et microcrédit : Accorder des crédits adaptés pour renouveler les équipements, améliorer la sécurité en mer et moderniser la chaîne de valeur.
- Formation et valorisation : Promouvoir les techniques de pêche durable, la transformation locale et la création de labels de qualité pour le poisson artisanal.
4.4. Réguler l’industrie FMFO
- Limiter l’exportation de poissons destinés à l’alimentation humaine : Réserver une part des captures aux marchés locaux pour garantir la sécurité alimentaire.
- Encadrer la transformation en farine et huile de poisson : Imposer des quotas et des contrôles stricts pour éviter la surexploitation.

4.5. Diversification et aquaculture durable
- Développer l’aquaculture communautaire : Former les jeunes et les femmes à l’aquaculture durable, pour réduire la pression sur les stocks sauvages7.
- Soutenir les éco-entreprises locales : Encourager la diversification des revenus (écotourisme, artisanat, etc.).
4.6. Coopération régionale et internationale
- Harmoniser les politiques de pêche : Créer des cadres communs de gestion des ressources halieutiques entre pays riverains.
- Mobiliser les partenaires internationaux : Conditionner les accords de pêche à des critères de durabilité et de respect des droits des communautés locales.
Conclusion
La survie des pêcheurs traditionnels en Afrique de l’Ouest dépend d’un changement de paradigme : mettre fin à la razzia des grands chalutiers, restaurer la souveraineté sur les ressources, investir dans la pêche artisanale et l’innovation durable. L’avenir de la sécurité alimentaire, de la culture et de la paix sociale dans la région en dépend.