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Accueil ÉconomieDéveloppement durable L’Inde en Afrique – Nouvelle puissance, nouvelle stratégie : quelles politiques pour l’Afrique face à l’entrée en LIC et à l’installation de la stratégie indienne ?Marion Clamart , journaliste Afrique

L’Inde en Afrique – Nouvelle puissance, nouvelle stratégie : quelles politiques pour l’Afrique face à l’entrée en LIC et à l’installation de la stratégie indienne ?Marion Clamart , journaliste Afrique

par Africanova
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Introduction

L’Inde s’impose aujourd’hui comme un acteur majeur en Afrique. Longtemps éclipsée par la Chine, l’Europe ou les États-Unis, New Delhi accélère depuis une décennie sa présence diplomatique, économique et sécuritaire sur le continent. L’entrée de l’Inde dans le club des LIC (Leading International Competitors) et la structuration d’une véritable stratégie africaine marquent une nouvelle étape. Investissements massifs, coopération militaire, diplomatie du soft power, conquête technologique et offensive culturelle : l’Inde diversifie ses leviers pour s’imposer comme partenaire alternatif et incontournable. Quelles sont les nouvelles politiques indiennes en Afrique ? Quels enjeux pour les États africains ? Comment l’Afrique peut-elle tirer profit de cette présence sans retomber dans les pièges du néo-extractivisme ou de la dépendance stratégique ? Analyse.

1. L’Inde en Afrique : une montée en puissance rapide et discrète

L’Inde n’est pas un nouvel arrivant en Afrique. Les liens historiques remontent à la période coloniale, avec la présence de diasporas indiennes en Afrique de l’Est (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Afrique du Sud) et l’héritage du mouvement des non-alignés. Mais depuis les années 2010, la stratégie indienne s’est accélérée et structurée, portée par la croissance économique, le besoin de ressources et la volonté de peser sur la scène internationale.

En 2024, l’Inde est le 4e investisseur en Afrique, derrière la Chine, l’Europe et les États-Unis, mais devant la Russie ou les pays du Golfe. Le commerce bilatéral Inde-Afrique dépasse 100 milliards de dollars, avec une croissance annuelle de 10%. Plus de 30 missions diplomatiques indiennes sont actives sur le continent, et New Delhi multiplie les sommets Inde-Afrique, les forums économiques et les accords bilatéraux.

2. Les piliers de la stratégie indienne en Afrique

a) Diplomatie économique et investissements

L’Inde cible prioritairement les secteurs stratégiques : énergie (hydrocarbures, solaire, éolien), mines (or, cuivre, manganèse, uranium), agriculture, pharmacie, télécommunications, fintech et infrastructures. Les grands groupes indiens (ONGC, Tata, Bharti Airtel, Mahindra, Sun Pharma) investissent dans plus de 40 pays africains. L’Inde finance des projets d’infrastructures (routes, ports, chemins de fer) via des lignes de crédit à taux préférentiels, rivalisant avec la Chine mais en misant sur des partenariats moins perçus comme « prédateurs ».

b) Diplomatie de la santé et de l’éducation

L’Inde se positionne comme « pharmacie du monde » pour l’Afrique : exportation de médicaments génériques, vaccins (notamment Covid-19), équipements médicaux, partenariats pour la production locale (Ethiopie, Sénégal, Afrique du Sud). Les universités indiennes accueillent chaque année des milliers d’étudiants africains, et New Delhi multiplie les bourses, les formations à distance et les programmes d’échange.

c) Coopération technologique et numérique

L’Inde exporte son savoir-faire en IT, e-gouvernement, fintech et connectivité. Le programme Pan-African e-Network, lancé dès 2009, relie universités et hôpitaux africains à des institutions indiennes. Les start-up indiennes investissent dans la digitalisation des services publics, l’agriculture intelligente, la télémédecine et l’éducation numérique, offrant des alternatives aux solutions chinoises ou occidentales.

d) Sécurité et défense

L’Inde renforce sa coopération militaire avec plusieurs États africains (Kenya, Mozambique, Seychelles, Afrique du Sud, Nigeria) : formation d’officiers, exercices conjoints, lutte contre la piraterie, vente d’équipements militaires. La marine indienne est de plus en plus présente dans l’océan Indien occidental, sécurisant les routes maritimes et protégeant les intérêts énergétiques.

e) Soft power et diplomatie culturelle

L’Inde mise sur sa diaspora (plus de 3 millions de personnes en Afrique), la diffusion du yoga, de Bollywood, de la cuisine et des festivals culturels. Elle promeut un modèle de coopération « Sud-Sud », fondé sur l’égalité, la solidarité et le respect de la souveraineté, en opposition aux approches jugées néocoloniales.

3. L’entrée en LIC : ambitions et implications

L’entrée de l’Inde dans le club des LIC (Leading International Competitors, concept désignant les puissances émergentes capables de rivaliser avec les acteurs traditionnels sur tous les continents) marque un tournant. Cette reconnaissance internationale, acquise en 2025, confère à New Delhi une légitimité nouvelle pour négocier avec l’UA, les communautés économiques régionales et les États africains.

L’Inde ambitionne de devenir le « partenaire de choix » pour l’Afrique, en misant sur la complémentarité démographique (jeunesse africaine, expertise indienne), la coopération technologique et la défense des intérêts du Sud global dans les forums internationaux (ONU, OMC, COP, G20, BRICS élargi).

4. Les défis et limites de la stratégie indienne

a) Concurrence frontale avec la Chine

Si l’Inde se présente comme une alternative à la Chine, la réalité est plus nuancée. Pékin reste le premier partenaire commercial et financier de l’Afrique, avec des moyens sans commune mesure. Les entreprises indiennes sont moins présentes dans les grands projets d’infrastructures, et l’influence politique de New Delhi reste inférieure à celle de Pékin.

b) Perception et attentes africaines

Certains gouvernements africains voient dans la stratégie indienne une opportunité de diversification, mais d’autres dénoncent des pratiques parfois similaires à celles des autres puissances : extraction de ressources sans transformation locale, importation de main-d’œuvre indienne, concurrence déloyale dans l’agriculture ou la pharmacie. Les sociétés civiles africaines réclament plus de transparence, de responsabilité sociale et de respect des normes environnementales.

c) Défis internes à l’Inde

L’Inde doit composer avec ses propres fragilités : inégalités sociales, tensions religieuses, défis environnementaux, lenteur bureaucratique. Sa capacité à tenir ses promesses en Afrique dépendra de sa stabilité interne et de la cohérence de sa politique étrangère.

5. Quelles politiques africaines face à la stratégie indienne ?

a) Négocier des partenariats équilibrés

Les États africains doivent tirer les leçons des expériences passées avec la Chine, l’Europe ou les États-Unis : imposer des clauses de transformation locale, de transfert de technologies, de formation et d’emploi local. Les grandes organisations régionales (UA, CEDEAO, SADC, EAC) peuvent jouer un rôle de coordination pour éviter la concurrence entre pays africains et renforcer leur pouvoir de négociation.

b) Valoriser l’innovation et la co-création

L’Afrique peut profiter du savoir-faire indien en matière de digitalisation, d’agriculture intelligente, de santé connectée, mais à condition de développer des écosystèmes locaux d’innovation et de créer des joint-ventures africano-indiennes. Les start-up africaines doivent être associées aux projets, et les universités africaines impliquées dans la recherche conjointe.

c) Exiger la responsabilité sociale et environnementale

Les sociétés civiles, les ONG et les médias africains doivent surveiller les pratiques des entreprises indiennes, exiger le respect des normes sociales, la protection de l’environnement et la lutte contre la corruption. L’Inde, soucieuse de son image internationale, peut être incitée à adopter des standards élevés si la pression est coordonnée.

d) Diversifier les partenariats

L’Afrique doit éviter de retomber dans une nouvelle dépendance, cette fois vis-à-vis de l’Inde. La diversification des partenaires (Chine, Turquie, Brésil, Europe, États-Unis, Golfe) reste essentielle pour préserver la souveraineté économique et politique du continent.

6. Perspectives : vers une nouvelle alliance afro-indienne ?

Le rapprochement entre l’Inde et l’Afrique ouvre la voie à une coopération renouvelée, fondée sur la complémentarité démographique, l’innovation technologique et la défense des intérêts du Sud global. Si l’Inde parvient à se différencier de la Chine par une approche plus inclusive, plus respectueuse et plus durable, elle pourrait devenir un partenaire de long terme pour l’Afrique.

Mais le succès de cette alliance dépendra de la capacité des États africains à défendre leurs intérêts, à bâtir des institutions solides et à promouvoir une vision panafricaine du développement. L’Inde, de son côté, devra prouver qu’elle peut être un partenaire fiable, innovant et respectueux des aspirations africaines.

Conclusion

L’installation de la stratégie indienne en Afrique, dans le contexte de son entrée en LIC, marque un tournant dans la géopolitique du continent. Loin d’être un simple prolongement de la compétition sino-occidentale, la présence indienne offre de nouvelles opportunités mais aussi de nouveaux défis. Pour l’Afrique, il s’agit d’un test de maturité stratégique : savoir tirer parti de la concurrence des puissances, imposer ses priorités et bâtir des partenariats gagnant-gagnant. L’avenir de la relation afro-indienne se jouera sur le terrain de l’innovation, de la responsabilité et de la souveraineté partagée.

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