Introduction
Depuis les années 1980, l’Afrique connaît une véritable explosion du phénomène des « Églises éveillées » ou « Églises de réveil ». Issues du pentecôtisme, du charismatisme ou de mouvements évangéliques indépendants, ces Églises, souvent portées par des pasteurs autoproclamés, bousculent le paysage religieux traditionnel dominé par le catholicisme, le protestantisme historique et l’islam. Leur essor fulgurant, leur dynamisme, leurs pratiques spectaculaires et leur influence croissante sur la société civile suscitent fascination, débats et parfois inquiétudes. Ce dossier propose d’analyser les missions, les impacts et les conséquences des pratiques particulières de ces Églises sur les sociétés africaines contemporaines.
1. Origines et expansion des Églises éveillées
Le mouvement des Églises éveillées trouve ses racines dans le pentecôtisme américain du début du XXe siècle, mais c’est à partir des années 1980-1990 qu’il connaît une croissance exponentielle en Afrique, notamment au Nigeria, en Côte d’Ivoire, au Congo, au Cameroun, au Ghana et en Afrique du Sud. Plusieurs facteurs expliquent ce succès :
- Urbanisation rapide : les villes africaines attirent des populations en quête de repères et de solidarité, que les Églises éveillées offrent à travers des réseaux communautaires forts.
- Crise des institutions traditionnelles : face à la corruption, à l’inefficacité de l’État et à la crise des Églises historiques, beaucoup se tournent vers des alternatives perçues comme plus authentiques et proches du peuple.
- Promesse de miracles et de prospérité : les Églises éveillées mettent en avant la guérison, la réussite sociale et l’ascension individuelle, répondant aux aspirations d’une jeunesse confrontée au chômage et à la précarité.
2. Missions et discours : entre spiritualité, prospérité et engagement social
Les Églises éveillées se distinguent par une triple mission :
- Évangélisation active : campagnes de rue, médias, réseaux sociaux, mégachurches attirant des milliers de fidèles. Le message est direct, émotionnel, souvent centré sur la « nouvelle naissance » et la transformation personnelle.
- Promesse de prospérité : la « théologie de la prospérité » enseigne que la foi et les dons à l’Église apportent la réussite matérielle et la guérison. Cette doctrine, très populaire, est critiquée pour son côté mercantile, mais elle séduit une population en quête d’espoir.
- Engagement social : de nombreuses Églises créent des écoles, des cliniques, des orphelinats, des programmes d’aide alimentaire ou de réinsertion. Elles jouent parfois un rôle de suppléance de l’État.
3. Pratiques particulières de la messe et innovations liturgiques
Les cultes dans les Églises éveillées diffèrent radicalement des liturgies traditionnelles :
- Spectacularisation du culte : musique rythmée, danses, cris, transes, imposition des mains, prophéties, délivrances et exorcismes. Les pasteurs sont souvent de véritables showmen.
- Langage et symbolique : utilisation de langues locales, de symboles africains, adaptation des récits bibliques au contexte quotidien des fidèles.
- Nouveaux guides et leadership charismatique : le pasteur, parfois appelé « prophète » ou « apôtre », est au centre de la communauté. Son autorité repose sur le charisme, la capacité à « faire des miracles » et à mobiliser les foules.
4. Impacts sur la société civile africaine
a) Cohésion sociale et solidarité
Les Églises éveillées offrent un espace de solidarité, d’entraide et de reconstruction identitaire, notamment pour les jeunes, les femmes et les migrants urbains. Elles créent des réseaux d’affaires, de microcrédit, de soutien scolaire, parfois plus efficaces que les dispositifs publics.
b) Influence politique et mobilisation citoyenne
Certains pasteurs deviennent des acteurs politiques majeurs, capables de mobiliser des millions de fidèles. Ils interviennent dans les débats publics, soutiennent ou critiquent les gouvernements, influencent les élections. Au Nigeria, au Ghana ou en RDC, des hommes d’Église siègent au Parlement ou conseillent les chefs d’État.
c) Transformation des normes sociales
Les Églises éveillées promeuvent des valeurs de discipline, d’ascétisme, de réussite individuelle, mais aussi de conservatisme moral (rejet de l’homosexualité, de l’avortement, etc.). Elles participent à la redéfinition des rapports de genre, de la famille et de la sexualité.
d) Risques de dérives et de manipulation
Le succès des Églises éveillées attire aussi des charlatans, des gourous et des escrocs. Des scandales éclatent régulièrement : détournements de fonds, abus sexuels, manipulations psychologiques, incitation à la haine ou à la violence. Certains cultes imposent des pratiques dangereuses (jeûnes extrêmes, refus de soins médicaux, sacrifices).
5. Études de cas et faits marquants
- Nigeria : la Redeemed Christian Church of God (RCCG) et la Winners’ Chapel rassemblent chacune plusieurs millions de fidèles. Leurs pasteurs sont des célébrités, propriétaires de médias, d’universités et d’hôpitaux.
- Côte d’Ivoire : l’Église Vases d’Honneur, la Mission Évangélique de la Foi, ou encore les « veillées de prière » rassemblent des foules immenses, notamment lors des crises politiques.
- Congo RDC : les Églises de réveil jouent un rôle clé dans la médiation des conflits, la prise en charge des déplacés et la dénonciation des violences.
6. Conséquences et perspectives
a) Sur le plan social
Les Églises éveillées contribuent à l’inclusion, à la résilience et à la mobilisation citoyenne, mais elles peuvent aussi renforcer les divisions, la défiance envers l’État ou la science, et l’intolérance religieuse.
b) Sur le plan économique
Elles créent un marché religieux dynamique (livres, musique, vêtements, pèlerinages, médias), mais la « dîme » et les dons peuvent appauvrir les plus vulnérables. Certaines Églises investissent dans l’immobilier, l’éducation, la santé.
c) Sur le plan politique
Leur poids croissant pose la question de la laïcité, de la séparation des pouvoirs et du respect des droits humains. Les gouvernements oscillent entre séduction, instrumentalisation et répression.
Conclusion
Les Églises éveillées sont devenues des acteurs incontournables de la société africaine contemporaine. Leur capacité à répondre aux besoins spirituels, sociaux et économiques des populations en fait des moteurs d’innovation, mais aussi des sources de tensions et de débats. L’enjeu pour l’avenir est d’encadrer leur développement, de promouvoir la transparence, la responsabilité et le dialogue interreligieux, afin que leur dynamisme profite à l’ensemble de la société.