Les compagnies aériennes internationales abordent l’année 2025 avec une prudence renouvelée, malgré la reprise progressive du trafic aérien observée depuis la fin de la pandémie de Covid-19. Selon les dernières déclarations de plusieurs grands acteurs du secteur, relayées le 2 juin, l’optimisme qui avait marqué le redémarrage post-crise laisse place à une inquiétude croissante face à des « vents contraires » économiques, géopolitiques et environnementaux. Derrière la façade d’une industrie en mouvement, se cachent des défis structurels qui pourraient redéfinir durablement l’avenir du transport aérien mondial.
Un secteur en convalescence après la pandémie
Après l’effondrement historique du trafic en 2020 et 2021, les compagnies aériennes avaient retrouvé le sourire en 2023 et 2024, portées par la soif de voyage des particuliers et la reprise du tourisme international. Les aéroports européens, américains, asiatiques ont renoué avec les foules, et certains hubs africains comme Addis-Abeba ou Casablanca ont même battu des records de fréquentation. Les compagnies low-cost, en particulier, ont profité de la demande pour les vols court et moyen-courrier.
Mais ce rebond cache des fragilités. Les bilans financiers de nombreuses compagnies restent plombés par les dettes contractées pendant la crise sanitaire. Les aides publiques, massives en Europe et en Amérique du Nord, arrivent à échéance, et les investisseurs s’inquiètent d’une rentabilité insuffisante, notamment sur les longs courriers. Les compagnies africaines, pour leur part, peinent à retrouver leur niveau d’avant-crise, freinées par la faiblesse des infrastructures et la volatilité des monnaies locales.
Des coûts en hausse et des marges sous pression
L’un des principaux défis évoqués par les dirigeants du secteur concerne la flambée des coûts opérationnels. Le prix du kérosène, qui représente jusqu’à 30 % des dépenses d’une compagnie, reste élevé, alimenté par les tensions géopolitiques au Moyen-Orient et la guerre en Ukraine. Les compagnies doivent aussi composer avec la hausse des salaires, la pénurie de personnel qualifié (pilotes, mécaniciens, hôtesses), et le coût croissant de la maintenance des flottes vieillissantes.
À cela s’ajoutent les investissements nécessaires dans la décarbonation du secteur : renouvellement des avions, carburants durables, compensation carbone. Les compagnies européennes, soumises à des réglementations environnementales de plus en plus strictes, préviennent que ces efforts pèseront sur leurs marges et risquent de se traduire par une hausse des prix pour les consommateurs.
La concurrence mondiale s’intensifie
Le marché du transport aérien reste extrêmement concurrentiel. Les compagnies du Golfe (Emirates, Qatar Airways, Etihad) continuent d’investir massivement dans le luxe et la connectivité, tandis que les transporteurs chinois et indiens misent sur la croissance de leur marché intérieur et régional. En Afrique, Ethiopian Airlines conserve son leadership, mais doit faire face à la montée en puissance de compagnies marocaines, égyptiennes, nigérianes et sud-africaines.
Les alliances mondiales (Star Alliance, SkyTeam, Oneworld) cherchent à renforcer leurs positions, mais la fragmentation du secteur, avec l’émergence de nouveaux acteurs low-cost et de compagnies hybrides, complique la donne. Les compagnies traditionnelles doivent innover pour fidéliser leur clientèle : nouvelles classes de voyage, services personnalisés, digitalisation de l’expérience passager.
Des incertitudes géopolitiques et sanitaires persistantes
Les dirigeants du secteur pointent également les risques liés à l’instabilité géopolitique. Les conflits en Ukraine, au Moyen-Orient, en Afrique de l’Ouest, mais aussi les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, créent un climat d’incertitude. Les compagnies doivent adapter en permanence leurs plans de vol, contourner des zones à risque, faire face à des fermetures d’espace aérien qui allongent les trajets et augmentent les coûts.
Sur le plan sanitaire, la menace de nouvelles épidémies, comme la résurgence du chikungunya à Mayotte ou les alertes à la grippe aviaire en Asie, rappelle la fragilité du secteur face aux chocs exogènes. Les compagnies investissent dans la sécurité sanitaire, la flexibilité des réservations et la gestion des crises, mais savent qu’un nouvel épisode pandémique pourrait à tout moment remettre en cause la reprise.

L’enjeu de la transition écologique
La pression pour verdir le transport aérien s’intensifie. Les ONG, les institutions internationales et une partie des voyageurs exigent des efforts concrets pour réduire l’empreinte carbone du secteur, responsable de 2 à 3 % des émissions mondiales de CO₂. Les compagnies investissent dans des avions plus économes, des carburants alternatifs (biokérosène, hydrogène), et des programmes de compensation. Mais les experts s’accordent à dire que la neutralité carbone à l’horizon 2050 sera difficile à atteindre sans rupture technologique majeure.
En Europe, la taxation des billets d’avion, les quotas d’émissions et les restrictions sur les vols courts sont à l’agenda politique. En Afrique et en Asie, la priorité reste l’accès au transport aérien pour accompagner le développement économique, mais les compagnies savent qu’elles devront s’adapter aux exigences environnementales mondiales.
Des perspectives mitigées pour 2025 et au-delà
Face à ces « vents contraires », les compagnies aériennes affichent un optimisme prudent. La demande de voyages devrait rester forte, notamment sur les marchés émergents et pour les déplacements professionnels. Mais la rentabilité, la capacité d’investissement et la résilience aux crises seront les clés de la survie dans un secteur en mutation rapide.
Les experts du secteur prévoient une consolidation du marché, avec des fusions, des alliances renforcées et, sans doute, la disparition de certains acteurs fragiles. Les compagnies qui sauront innover, maîtriser leurs coûts et répondre aux attentes des voyageurs en matière de sécurité, de flexibilité et de durabilité, tireront leur épingle du jeu.
Un secteur à la croisée des chemins
L’industrie aérienne mondiale se trouve à un tournant. Entre la nécessité de répondre à la demande croissante de mobilité, la pression pour réduire son impact environnemental, et la gestion des risques économiques et géopolitiques, les compagnies aériennes doivent repenser leur modèle. Les « vents contraires » de 2025 pourraient bien être le prélude à une transformation en profondeur du secteur, où seuls les plus agiles et les plus innovants survivront.