Introduction :
Face aux contraintes structurelles (accès limité à l’électricité, pénurie de pièces détachées), les ingénieurs africains développent une culture du tech bricolage (techjacking), détournant les technologies occidentales pour les adapter aux réalités locales. Ce phénomène, entre innovation frugale et résistance à la dépendance technologique, redéfinit les rapports Nord-Sud en matière d’innovation.
Les piliers du techjacking :
Cette approche pragmatique repose sur trois principes :
- Détournement fonctionnel :
- Les makerspaces nigérians transforment des smartphones obsolètes en capteurs agricoles pour mesurer l’humidité des sols.
- Au Kenya, des étudiants reconfigurent des drones chinois DJI pour livrer des médicaments dans les zones rurales.
- Réutilisation créative :
- Les solar hackers du Togo assemblent des panneaux solaires à partir de déchets électroniques récupérés dans les décharges d’Agbogbloshie (Ghana).
- Les fab labs sénégalais recyclent des moteurs de réfrigérateurs en turbines pour petites centrales hydroélectriques.
- Collaboration décentralisée :
- La plateforme AfriGadget connecte des bricoleurs à travers le continent pour partager des solutions open source.
Étude de cas : Le Zéro Dollar Laptop au Bénin
Ce projet, initié par l’ONG Blolab, transforme d’anciens ordinateurs jetés en Europe en outils éducatifs :
- Dépoussiérage matériel : Remplacement des disques durs par des cartes SD low-cost.
- Système d’exploitation local : Déploiement de Linux Ubuntu traduit en fon et en yoruba.
- Impact social : 15 000 élèves formés depuis 2020, avec un taux de réussite accru de 40 % aux examens nationaux.
Défis et limites :
Malgré son potentiel, le techjacking se heurte à des obstacles structurels :
- Dépendance aux déchets technologiques : Les équipements reconditionnés proviennent majoritairement d’Europe ou de Chine, perpétuant une relation inégale.
- Absence de cadre juridique : Les brevets occidentaux entravent la commercialisation de certaines inventions, comme les drones médicaux modifiés.
- Risque de marginalisation scientifique : Focus sur l’utilitaire au détriment de la recherche fondamentale, selon les critiques du professeur Ndubuisi Ekekwe (African Institute of Technology).
Perspectives : Vers un modèle technologique panafricain ?
Des initiatives émergent pour institutionnaliser cette culture de l’innovation frugale :
- Diplômes universitaires : L’Université de Lomé (Togo) a lancé en 2023 un Master en Ingénierie de la récupération.
- Politiques publiques : Le Rwanda inclut le techjacking dans sa stratégie nationale d’autonomie technologique (Made in Africa 2030).
- Collaborations Sud-Sud : Le projet AfriFix relie des makerspaces africains à des partenaires indiens et brésiliens pour échanger des savoir-faire.