Introduction : L’ONU, acteur incontournable du destin africain
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Organisation des Nations unies (ONU) s’est imposée comme un acteur central du développement, de la paix et de la sécurité en Afrique. Présente sur le continent dès les premières vagues de décolonisation, l’ONU a accompagné l’émergence des nouveaux États, soutenu les transitions politiques, mené des opérations de maintien de la paix, coordonné l’aide humanitaire et promu les droits humains. Mais son rôle, loin d’être univoque, est traversé de contradictions, de critiques et de débats sur son efficacité, sa légitimité et son impact réel sur les sociétés africaines.
Ce dossier propose une analyse approfondie du rôle de l’ONU en Afrique, de ses succès à ses échecs, en passant par ses zones d’ombre, ses innovations et ses perspectives d’avenir.
1. L’ONU, architecte de la décolonisation et du multilatéralisme africain
1.1. L’accompagnement des indépendances
L’ONU a joué un rôle historique dans la décolonisation de l’Afrique. Dès les années 1950, l’Assemblée générale a fait de la fin du colonialisme un objectif prioritaire, adoptant la résolution 1514 sur l’octroi de l’indépendance aux peuples coloniaux. Des missions d’observation ont accompagné les référendums et les transitions, comme au Ghana (1957), au Congo (1960) ou en Algérie (1962).
L’ONU a servi de tribune aux leaders africains, de Kwame Nkrumah à Patrice Lumumba, pour porter la voix du continent sur la scène internationale. Elle a aussi soutenu la création de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ancêtre de l’Union africaine (UA), consolidant le multilatéralisme africain.
1.2. Lutte contre l’apartheid et racisme institutionnalisé
L’un des plus grands succès de l’ONU en Afrique reste son engagement contre l’apartheid en Afrique du Sud. Par des résolutions, des sanctions et un soutien aux mouvements de libération, l’ONU a contribué à l’isolement du régime sud-africain et à la victoire de Nelson Mandela. Ce combat a forgé l’image d’une ONU défenseur des droits humains et de la justice universelle.
2. L’ONU humanitaire : secours, développement et défis structurels
2.1. L’aide humanitaire d’urgence
L’Afrique est le théâtre de nombreuses crises humanitaires : famines, épidémies, conflits, catastrophes naturelles. Les agences onusiennes (PAM, UNICEF, OMS, HCR, OCHA) sont en première ligne pour apporter une aide vitale : distribution de nourriture, vaccination, accès à l’eau, protection des réfugiés. L’ONU coordonne aussi les appels de fonds internationaux et la logistique des opérations d’urgence.
Exemples marquants :
- La famine en Éthiopie (1984-85) : mobilisation du Programme alimentaire mondial (PAM) et des ONG, sauvetage de millions de vies.
- La lutte contre Ebola (2014-2016) : coordination OMS, UNICEF, HCR pour endiguer l’épidémie en Afrique de l’Ouest.
- Crises des réfugiés au Soudan du Sud, RDC, Centrafrique : gestion de camps, protection des populations déplacées.
2.2. Développement et Objectifs du Développement Durable (ODD)
Au-delà de l’urgence, l’ONU pilote des programmes de développement : éducation, santé, égalité des genres, lutte contre la pauvreté, accès à l’énergie. Les ODD, adoptés en 2015, servent de feuille de route pour l’Afrique : scolarisation des filles, accès à l’eau potable, énergies renouvelables, lutte contre le VIH/sida.

L’ONU accompagne aussi la réforme des systèmes de santé (ex : couverture maladie universelle au Rwanda), la formation des cadres administratifs et la modernisation des agricultures (FAO).
2.3. Limites et critiques de l’action humanitaire onusienne
Malgré ses succès, l’ONU fait face à de nombreuses critiques :
- Bureaucratie et lenteur : lourdeur administrative, coordination parfois défaillante avec les ONG locales.
- Dépendance à l’aide : certains pays restent prisonniers de l’assistanat, sans développement endogène.
- Scandales : accusations d’abus sexuels dans les camps de réfugiés, détournements de fonds, inefficacité de certaines missions.
3. L’ONU militaire : maintien de la paix, opérations et controverses
3.1. Les grandes missions de maintien de la paix
L’Afrique est le principal théâtre des opérations de maintien de la paix de l’ONU (Casques bleus). Depuis la première mission au Congo en 1960 (ONUC), des dizaines d’opérations ont été déployées : MINUSMA au Mali, MONUSCO en RDC, MINUSCA en Centrafrique, UNAMID au Darfour, etc.
Les objectifs : protéger les civils, désarmer les milices, soutenir les processus électoraux, accompagner le retour à la paix.
3.2. Succès et limites des interventions militaires
Certains succès sont indéniables : stabilisation du Liberia et de la Sierra Leone, organisation d’élections en Côte d’Ivoire, protection des civils au Soudan du Sud.
Mais les échecs et les controverses sont nombreux :
- RDC : la MONUSCO, la plus coûteuse des missions, peine à éradiquer les groupes armés.
- Mali : la MINUSMA a été contrainte de quitter le pays en 2023, accusée d’inefficacité et de partialité.
- Abus et exactions : des Casques bleus ont été accusés de violences sexuelles, de trafic et de corruption.
3.3. Coopération avec l’Union africaine et les forces régionales
Face à la complexité des crises, l’ONU collabore de plus en plus avec l’Union africaine (UA), la CEDEAO, la SADC et d’autres organisations régionales. Les missions hybrides (ONU-UA au Darfour) ou les soutiens logistiques (Somalie, Mozambique) illustrent cette nouvelle approche.
4. L’ONU et l’économie africaine : développement, investissements et gouvernance
4.1. Soutien à la bonne gouvernance et à la lutte contre la corruption
L’ONU, via le PNUD, la Banque mondiale et d’autres agences, accompagne les réformes de gouvernance : transparence budgétaire, lutte contre la corruption, renforcement des institutions judiciaires. Des programmes d’appui à la décentralisation, à la réforme des systèmes fiscaux et à la participation citoyenne sont mis en œuvre dans de nombreux pays.
4.2. Promotion des investissements et du commerce équitable
La CNUCED et l’OMC, sous l’égide de l’ONU, encouragent l’intégration de l’Afrique dans le commerce mondial. L’ONU soutient la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), la diversification des économies et la valorisation des chaînes de valeur locales (cacao, coton, minerais).
4.3. Limites de l’impact économique onusien
Malgré ces efforts, l’ONU est parfois critiquée pour son manque d’impact direct sur la croissance et l’emploi. Les investissements restent faibles face aux besoins, et la dépendance à l’aide extérieure perdure. Les experts appellent à une meilleure articulation entre l’aide internationale et les stratégies nationales de développement.

5. L’ONU et les droits humains : avancées et controverses
5.1. Défense des droits fondamentaux
Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) et les rapporteurs spéciaux de l’ONU documentent les violations des droits humains : torture, exécutions extrajudiciaires, discriminations, violences de genre. Des missions d’enquête ont permis de révéler des crimes de guerre (Rwanda, Darfour, RDC) et de soutenir la justice internationale (CPI).
5.2. Soutien à la société civile et à l’égalité des genres
L’ONU appuie les ONG locales, les défenseurs des droits humains, les mouvements féministes et les initiatives pour l’inclusion des personnes handicapées ou LGBTQ+. Elle milite pour la parité en politique, l’accès des femmes à l’éducation et la lutte contre les mutilations génitales féminines.
5.3. Critiques : souveraineté, ingérence et double standard
Certains gouvernements africains accusent l’ONU d’ingérence, de partialité ou de « deux poids, deux mesures » dans la dénonciation des violations. Les débats sur la souveraineté, la non-ingérence et le respect des traditions locales restent vifs, notamment sur les questions de mœurs, de religion ou de justice transitionnelle.
6. Destins, controverses et ambiguïtés : l’ONU, entre espoir et désillusion
6.1. Cas d’école : Rwanda, Soudan, Mali, RDC
- Rwanda (1994) : l’échec de la MINUAR à prévenir le génocide reste un traumatisme majeur pour l’ONU, accusée de passivité et d’impuissance.
- Soudan/Darfour : la mission hybride ONU-UA a permis une relative stabilisation, mais les violences persistent.
- Mali : la MINUSMA, critiquée pour son inefficacité, a quitté le pays sous la pression des autorités militaires.
- RDC : la MONUSCO, en place depuis 1999, peine à ramener la paix dans l’est du pays malgré des moyens colossaux.
6.2. Innovations et adaptations
Face aux critiques, l’ONU cherche à se réformer : implication accrue des acteurs locaux, partenariats avec le secteur privé, recours aux nouvelles technologies (drones, data), intégration du climat et du genre dans ses politiques.
6.3. L’ONU comme espace de diplomatie et de plaidoyer africain
L’ONU reste un forum où l’Afrique peut faire entendre sa voix : plaidoyer pour la réforme du Conseil de sécurité (représentation permanente de l’Afrique), défense des intérêts agricoles, lutte contre le changement climatique (COP), mobilisation pour la justice climatique et la dette.
Conclusion : Un rôle ambigu, mais vital pour l’Afrique d’aujourd’hui et de demain
Le rôle de l’ONU en Afrique est à la fois porteur d’espoir et objet de controverses. Entre missions humanitaires, interventions militaires, soutien au développement et défense des droits humains, l’ONU incarne à la fois les promesses du multilatéralisme et les limites d’une organisation confrontée à la complexité des sociétés africaines et aux rapports de force internationaux.
Si ses actions sont parfois critiquées pour leur lenteur, leur bureaucratie ou leurs échecs, l’ONU demeure un acteur irremplaçable pour la paix, la sécurité et le développement du continent. L’avenir dépendra de sa capacité à se réformer, à écouter les sociétés africaines et à s’adapter aux nouveaux défis : changement climatique, sécurité alimentaire, transition démographique, justice sociale.
Le destin de l’Afrique et celui de l’ONU resteront étroitement liés, pour le meilleur et parfois pour le pire. Mais c’est dans ce dialogue, parfois tendu, que se joue l’avenir du multilatéralisme et de la solidarité internationale.