La Chine a officiellement démarré la construction du plus grand barrage du monde sur le fleuve Yarlung Tsangpo, dans la région du Tibet, suscitant une onde de choc et d’inquiétude à travers toute l’Asie du Sud. Ce projet pharaonique, stratégique et controversé, rappelle à quel point le contrôle de l’eau est devenu un enjeu géopolitique vital à l’ère du changement climatique et de la compétition régionale autour des ressources naturelles.
Un rêve de puissance énergétique en contexte tendu
Le barrage, une fois achevé, fournira l’équivalent de trois centrales nucléaires en électricité, alimentant les grandes mégapoles chinoises (Chengdu, Chongqing) et renforçant le bouquet hydroélectrique du pays. Selon Pékin, il s’agit d’un “projet vert”, qui doit répondre à la fois à l’augmentation des besoins domestiques et à la difficulté de réduire la part du charbon dans le mix énergétique.
Mais sa localisation, sur le “toit du monde”, à la frontière de l’Inde et du Bangladesh — où le fleuve prend le nom de Brahmapoutre — nourrit tous les fantasmes et les inquiétudes : risque de crues massives, modification des cycles agricoles, menaces sur la biodiversité alpine et surtout, peur d’un outil politique capable de priver des millions de personnes en aval de leur principale ressource en eau.
Une levée de boucliers diplomatique
L’Inde, dont le nord-est dépend directement du Brahmapoutre pour l’irrigation, l’alimentation et la consommation domestique, a rapidement exprimé son “inquiétude extrême” et demandé la transparence totale sur les travaux, le partage des données hydrauliques et une évaluation indépendante de l’impact environnemental. Le Bangladesh, lui, craint pour sa sécurité alimentaire et alerte sur le risque d’assèchement saisonnier, de salinisation des sols et de fragilisation de son delta face aux crues ou, à l’inverse, aux périodes de basses eaux.
Des délégations de la SAARC (South Asian Association for Regional Cooperation) ont déjà appelé à une médiation internationale, tandis que l’ONU multiplie les réunions d’urgence. De nombreux experts hydrauliques demandent l’adoption d’un traité multilatéral sur la gestion des eaux transfrontalières, à l’image du Nil ou du Mékong.
Défis environnementaux, sociales et sécurité
Les écologistes signalent des effets potentiellement dévastateurs : déplacement de populations tibétaines, perte de terres agricoles, affaiblissement de la faune sauvage unique de l’Himalaya. Les autorités chinoises minimisent les risques et promettent la compensation écologique, le relogement des familles et la préservation des sites sacrés bouddhistes, mais la confiance reste fragile dans un pays où l’information circule difficilement.

Sur le terrain, des actes de sabotage et des manifestations communautaires tibétaines ou ouïghoures témoignent du malaise local et de la difficulté à concilier modernisation et respect des cultures minoritaires. Beaucoup redoutent que le développement hydroélectrique ne serve aussi de prétexte à la militarisation de la région.
Une bataille pour l’eau du XXIe siècle ?
Le barrage géant du Yarlung Tsangpo illustre l’entrée de l’Asie du Sud dans l’ère des guerres de l’eau : à l’heure où le climat se dérègle et où la population explose, la maîtrise des fleuves et des deltas devient un puissant levier d’influence diplomatique, voire de pression géostratégique. Certains experts parlent déjà de “hydrodiplomatie coercitive”, arguant que le contrôle de l’eau pourrait, à terme, suppléer la bombe atomique dans la hiérarchie des menaces régionales.
Pour l’Afrique, souvent confrontée à des conflits similaires sur le Nil ou le Niger, la leçon est lourde : la coopération transfrontalière, la gestion inclusive de la ressource et la transparence doivent être les pierres angulaires de la paix durable.