Introduction :
La province romaine d’Afrique, structurée autour des civitates liberae (cités libres), offre un laboratoire pour étudier les tensions entre autonomie locale et domination impériale. Les travaux récents, croisant épigraphie, archéogéographie et sources littéraires, révèlent une complexité administrative longtemps sous-estimée.
Les cités libres : autonomie et intégration
Pline l’Ancien recense 516 populi en Afrique romaine, dont seulement 53 jouissaient du statut privilégié de cité libre4. Ces entités, comme Thugga (Dougga) ou Uchi Maius, négociaient leur relation avec Rome à travers :
- Des privilèges fiscaux : exemptions partielles de l’annona (impôt en nature).
- Une autogestion limitée : maintien des institutions locales (assemblées, magistrats) sous contrôle romain.
- Des stratégies d’allégeance : dédicaces aux empereurs et intégration de cultes romains aux panthéons locaux.
Cadastres romains et structuration des paysages
Les centuriations (réseaux de parcelles) tracées en Africa vetus (Tunisie actuelle) et Africa nova (Algérie orientale) illustrent l’appropriation territoriale romaine :
- Techniques d’arpentage : utilisation de la groma pour diviser les terres conquises, comme le montre le cadastre de Carthage.
- Conflits agraires : les bornes terminales retrouvées près de Sétif attestent des litiges entre colons romains et communautés numides6.
- Adaptation écologique : les Romains reprennent des techniques puniques de gestion hydraulique, visibles dans les foggara (galeries drainantes) du sud-constantinois.

Frontières mouvantes et identités
La notion de limes en Afrique romaine dépasse la simple ligne militaire :
- Zones tampons : régions comme la Marmarica (Libye actuelle) servaient d’espaces de négociation avec les tribus gétules.
- Hybridation culturelle : les stèles bilingues (libyque/latin) de Volubilis (Maroc) reflètent une romanisation sélective.
- Réinterprétations médiévales : les géographes arabes comme al-Bakri reprennent les découpages romains pour décrire le Maghreb2.
Débats historiographiques
Les découvertes récentes relancent les controverses sur :
- Le concept de « romanisation » : critique des modèles diffusionnistes au profit d’une approche dialectique (creuset africano-romain).
La persistance des structures préromaines : les pagi (communautés rurales) conservent des traits numides sous le vernis administratif romain