Introduction : L’énergie, enjeu central du nouvel ordre mondial
Le XXIe siècle est marqué par une course à l’énergie sans précédent. La transition énergétique, la raréfaction des ressources fossiles, l’urgence climatique, mais aussi les rivalités géopolitiques et la quête de souveraineté transforment en profondeur le paysage énergétique mondial. De nouvelles alliances se nouent, de nouveaux acteurs émergent, et de nouvelles routes sont tracées. L’Afrique, le Golfe, l’Asie et les Amériques sont au cœur de cette recomposition, qui esquisse un monde multipolaire de l’énergie, où l’Europe peine à trouver sa place.
I. La transformation du paysage énergétique
A. La transition énergétique : un impératif et une source de tensions
La nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et de lutter contre le changement climatique impose une transition énergétique radicale, du charbon et du pétrole vers les énergies renouvelables (solaire, éolien, hydroélectricité, biomasse) et l’hydrogène vert. Mais cette transition est coûteuse, complexe et source de tensions. Les pays riches, historiquement responsables des émissions, doivent financer leur propre décarbonation, mais aussi aider les pays en développement à faire de même. Les pays producteurs d’énergies fossiles doivent se diversifier pour éviter un effondrement de leurs économies. Les consommateurs doivent accepter des changements de modes de vie et des augmentations de prix.
B. La guerre en Ukraine : un accélérateur de mutations
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a accéléré la diversification des sources d’approvisionnement en énergie, en particulier pour l’Europe, très dépendante du gaz russe. La crise a mis en lumière la vulnérabilité énergétique de l’UE, son manque d’autonomie stratégique et la nécessité de trouver des alternatives, en se tournant vers l’Afrique, le Golfe, les États-Unis, la Norvège ou l’Azerbaïdjan. La guerre a aussi relancé le débat sur le nucléaire, considéré par certains comme une énergie de transition, et a stimulé les investissements dans les énergies renouvelables.
C. L’essor des énergies vertes et des nouvelles technologies
L’hydrogène vert, produit à partir d’énergies renouvelables, est présenté comme la solution d’avenir pour décarboner l’industrie, les transports et le chauffage. De nombreux pays investissent massivement dans la production, le stockage et le transport de l’hydrogène, en particulier en Afrique (Maroc, Namibie, Afrique du Sud), au Moyen-Orient (Arabie saoudite, Émirats arabes unis) et en Australie. Le solaire, l’éolien et l’hydroélectricité connaissent aussi un essor spectaculaire, grâce à la baisse des coûts et aux progrès technologiques. Les batteries, les réseaux intelligents et les solutions de stockage de l’énergie sont autant d’innovations qui transforment le paysage énergétique.

II. Les nouveaux acteurs et les nouvelles alliances
A. L’Afrique, nouvel eldorado énergétique
Longtemps marginalisée, l’Afrique devient un acteur clé de la diplomatie des énergies. Le continent dispose d’immenses réserves de gaz naturel, en particulier au Nigeria, en Algérie, en Égypte, au Sénégal et au Mozambique, qui suscitent la convoitise de l’Europe et de l’Asie. L’Afrique est aussi un leader dans le développement des énergies renouvelables, grâce à son ensoleillement exceptionnel, son potentiel éolien et son accès à des minerais stratégiques (lithium, cobalt). Le Maroc, l’Égypte, l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Éthiopie sont à la pointe de cette révolution énergétique.
B. Le Golfe, entre pétrodollars et diversification
Les pays du Golfe, longtemps dépendants des revenus pétroliers, investissent massivement dans les énergies renouvelables, le tourisme et les nouvelles technologies, pour préparer l’après-pétrole. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Qatar veulent devenir des leaders de l’hydrogène vert, du solaire et de l’économie numérique. Ils diversifient aussi leurs partenariats, en se rapprochant de la Chine, de l’Inde et de l’Afrique.
C. L’Asie, moteur de la demande et de l’innovation
La Chine et l’Inde, moteurs de la croissance mondiale, sont aussi les plus gros consommateurs d’énergie. Pour assurer leur développement, elles diversifient leurs sources d’approvisionnement, en investissant massivement en Afrique, au Moyen-Orient, en Russie et en Amérique latine. La Chine est aussi un leader dans la production d’équipements solaires, d’éoliennes et de batteries, et contrôle une part importante des chaînes de valeur des énergies renouvelables. Le Japon, la Corée du Sud et les pays de l’ASEAN misent aussi sur l’efficacité énergétique et les nouvelles technologies pour réduire leur dépendance aux énergies fossiles.
D. Les Amériques, entre puissance fossile et transition verte
Les États-Unis, redevenus exportateurs de pétrole et de gaz grâce à la révolution du schiste, rivalisent avec la Russie sur le marché mondial. Le Canada et le Mexique disposent aussi d’importantes ressources fossiles. Mais les États-Unis investissent massivement dans les énergies renouvelables, en particulier le solaire et l’éolien, et Joe Biden a relancé la politique climatique américaine après le retrait de Donald Trump. L’Amérique latine, riche en ressources naturelles (hydroélectricité, lithium, cuivre), veut jouer un rôle clé dans la transition énergétique mondiale. Le Brésil, l’Argentine, le Chili et le Pérou sont à la pointe de cette dynamique.
III. Les enjeux géopolitiques et stratégiques
A. Les nouvelles routes de l’énergie
Les infrastructures énergétiques (oléoducs, gazoducs, lignes à haute tension, terminaux méthaniers) sont des enjeux géopolitiques majeurs. La construction de nouveaux gazoducs reliant l’Afrique à l’Europe (Nigeria-Maroc, Algérie-Italie) redessine la carte énergétique du continent. Le développement de corridors énergétiques reliant l’Asie centrale à la Chine et à l’Europe renforce l’influence de Pékin. La maîtrise des routes maritimes, par où transite une grande partie des hydrocarbures, est un enjeu crucial pour la sécurité énergétique.
B. La sécurité énergétique, enjeu de souveraineté
Chaque pays cherche à assurer sa sécurité énergétique, c’est-à-dire sa capacité à accéder à des sources d’énergie fiables, abordables et durables. La diversification des fournisseurs, le stockage des ressources, le développement des énergies renouvelables et la maîtrise des technologies sont autant de leviers pour réduire la dépendance et renforcer l’autonomie stratégique.
C. Les conflits et les tensions
L’accès aux ressources énergétiques est une source de conflits et de tensions. Les différends frontaliers liés aux gisements offshore en Méditerranée orientale, en mer de Chine méridionale ou en Arctique illustrent ces rivalités. Les attaques contre les infrastructures énergétiques (oléoducs, centrales électriques) sont des armes de guerre de plus en plus utilisées. Le contrôle des ressources énergétiques est aussi un enjeu dans les guerres civiles et les conflits régionaux, notamment au Moyen-Orient et en Afrique.
IV. Les défis et les opportunités pour l’Afrique
A. Valoriser les ressources locales et attirer les investissements
L’Afrique doit valoriser ses ressources énergétiques, tant fossiles que renouvelables, pour financer son développement et réduire sa dépendance aux importations. Pour cela, elle doit attirer les investissements étrangers, en améliorant le climat des affaires, en luttant contre la corruption et en garantissant la stabilité politique.
B. Développer l’accès à l’énergie pour tous
L’accès à l’électricité reste un défi majeur pour de nombreux pays africains, en particulier en zone rurale. Le développement des énergies renouvelables décentralisées (mini-réseaux solaires, éoliennes) offre une solution pour électrifier les villages isolés et améliorer les conditions de vie des populations.

C. Promouvoir une transition énergétique juste et durable
L’Afrique doit éviter de reproduire les erreurs des pays développés, en privilégiant un modèle de développement sobre en carbone, fondé sur l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables et la protection de l’environnement. La transition énergétique doit être juste, c’est-à-dire tenir compte des besoins des populations, créer des emplois et réduire les inégalités.
Conclusion : Vers un nouveau monde de l’énergie
La diplomatie des énergies est en pleine mutation. Le monde multipolaire qui se dessine est à la fois une source de tensions et d’opportunités. L’Afrique, le Golfe, l’Asie et les Amériques ont un rôle clé à jouer dans la construction d’un système énergétique plus durable, plus équitable et plus sûr. Pour cela, ils doivent renforcer leur coopération, investir dans l’innovation et défendre leurs intérêts dans les négociations internationales.