Le retrait progressif de l’armée française du Sahel a ouvert une nouvelle ère sécuritaire où plusieurs puissances, locales et étrangères, redéfinissent la carte de l’intervention dans la région. Trois ans après le départ complet de l’opération Barkhane, une “guerre invisible” se poursuit dans les sables du Mali, du Niger et du Burkina Faso — un conflit à la fois militaire, idéologique et géopolitique.
La montée en puissance des armées nationales marque un tournant. Portés par un discours souverainiste, les juntes militaires sahéliennes ont cherché à prouver leur capacité à assurer seules la sécurité. Néanmoins, ces efforts s’avèrent hétérogènes et souvent limités par un manque de moyens, d’équipement et de coordination transfrontalière. Face à des groupes armés fragmentés, mais toujours actifs, la guerre du Sahel reste asymétrique.
L’un des acteurs les plus marquants de cette nouvelle configuration est la Russie. À travers sa présence militaire et ses sociétés de sécurité privée, Moscou a gagné une influence stratégique notable. Les forces russes, rebaptisées sous forme “officielle” après la dissolution de Wagner, coopèrent avec les armées locales dans des campagnes ciblées contre des poches djihadistes. Ce partenariat est salué par une partie des opinions publiques africaines, lassées de l’héritage militaire français.
Cependant, cette recomposition militaire ne s’effectue pas sans risques. De nouvelles tensions apparaissent entre les pays voisins, notamment entre ceux qui gardent des liens occidentaux (comme le Tchad) et ceux du bloc sahélien autonome. L’absence de coordination régionale peut fragiliser davantage les frontières déjà poreuses.
Sur le terrain humanitaire, les conséquences sont lourdes : plus de 3 millions de déplacés internes selon l’ONU, une situation alimentaire dramatique et un recul de la présence humanitaire dans certaines zones. La guerre du Sahel s’internationalise aussi silencieusement, avec l’implication croissante de drones fournis par la Turquie et la Chine à plusieurs gouvernements africains.
L’enjeu pour les années à venir sera de transformer ce champ de bataille en laboratoire de sécurité africaine. Si l’Union africaine parvient à coordonner un commandement militaire continental, le Sahel pourrait devenir l’espace d’une autonomie stratégique africaine réelle. Sans cela, le risque demeure que cette “guerre invisible” se prolonge indéfiniment, au détriment des populations et de la stabilité régionale.
