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Accueil Actualités La CPI et l’Afrique : une question de rapport de force ou de justice réelle ? Quand l’actualité décrédibilise le droit et les institutions internationales. La CPI, un tribunal pour parias ?

La CPI et l’Afrique : une question de rapport de force ou de justice réelle ? Quand l’actualité décrédibilise le droit et les institutions internationales. La CPI, un tribunal pour parias ?

par Africanova
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I. Introduction

La Cour pénale internationale (CPI), créée en 2002, se veut le bras armé du droit international pour juger les crimes les plus graves : génocides, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et, depuis peu, crime d’agression. Présentée comme universelle, indépendante et impartiale, la CPI est pourtant au cœur de polémiques, notamment en Afrique. Depuis plus de deux décennies, la quasi-totalité de ses enquêtes et poursuites visent des ressortissants africains. Cette surreprésentation alimente les accusations de justice à deux vitesses, d’instrumentalisation politique et de néocolonialisme judiciaire.
Dans ce contexte, la question se pose : la CPI est-elle un véritable tribunal de justice ou un instrument de rapports de force internationaux ? L’actualité récente, marquée par des mandats d’arrêt contre des chefs d’État puissants et par la paralysie de la justice internationale dans certains conflits, interroge la crédibilité du droit international. Ce dossier propose une analyse critique de la relation entre la CPI et l’Afrique, en explorant ses fondements, ses limites et ses perspectives.

II. La CPI et l’Afrique : un bilan controversé

Dès ses premières années d’existence, la CPI s’est illustrée par l’ouverture de procédures visant des dirigeants et des groupes armés africains : Ouganda (Joseph Kony et la LRA), République démocratique du Congo (Thomas Lubanga, Germain Katanga), République centrafricaine, Soudan (Omar el-Béchir), Côte d’Ivoire (Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé), Kenya (Uhuru Kenyatta, William Ruto), Libye (Mouammar Kadhafi).
Sur la vingtaine d’affaires ouvertes jusqu’en 2024, plus de 80 % concernent l’Afrique. Cette focalisation, bien que souvent justifiée par la gravité des crimes et par des renvois volontaires de certains États africains eux-mêmes, a nourri le sentiment d’un ciblage sélectif.

Les critiques africaines dénoncent une CPI qui ferait de l’Afrique un laboratoire de la justice internationale, tandis que les puissances occidentales et leurs alliés échapperaient à toute poursuite. Les défenseurs de la CPI rappellent que nombre de procédures ont été ouvertes à la demande des États africains ou du Conseil de sécurité de l’ONU, et que l’institution reste tributaire de la coopération des États pour agir.

III. Les ressorts politiques et géopolitiques de la justice internationale

La CPI ne dispose pas de police propre : elle dépend de la coopération des États et du Conseil de sécurité de l’ONU pour exécuter ses mandats. Or, ce Conseil est dominé par cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) qui disposent d’un droit de veto.
Aucun de ces États n’est membre de la CPI, à l’exception du Royaume-Uni et de la France. Les États-Unis, la Russie, la Chine et Israël n’ont jamais ratifié le Statut de Rome ou s’en sont retirés. Cela crée une situation d’immunité de fait pour les responsables de ces pays, même en cas de crimes graves.

La justice internationale apparaît ainsi comme sélective : les puissants échappent aux poursuites, tandis que les pays africains, souvent plus faibles sur la scène internationale, se retrouvent surreprésentés dans le box des accusés. Les affaires concernant l’Afghanistan, la Palestine, l’Irak, la Syrie ou la Géorgie n’ont pas connu le même degré d’avancement que celles concernant l’Afrique, alimentant le soupçon de deux poids, deux mesures.

IV. Les critiques africaines face à la CPI

Face à ce déséquilibre, de nombreux chefs d’État africains et institutions régionales (Union africaine, CEMAC, SADC) ont exprimé leur défiance envers la CPI. Ils dénoncent une justice néocoloniale, instrumentalisée par l’Occident pour affaiblir les dirigeants africains, et menacent régulièrement de se retirer du Statut de Rome.
En 2016, l’Afrique du Sud, le Burundi et la Gambie avaient même annoncé leur retrait, avant de faire marche arrière sous la pression internationale et de la société civile. L’Union africaine a plusieurs fois appelé à la suspension des poursuites contre des chefs d’État en exercice, arguant que la stabilité nationale prime sur la justice internationale.

Parallèlement, des initiatives pour créer une Cour africaine de justice et des droits de l’homme ont vu le jour, mais peinent à s’imposer face aux défis de financement, d’indépendance et de compétence.

V. L’actualité et la crise de légitimité de la CPI

L’actualité récente a mis en lumière la crise de légitimité de la CPI. L’émission de mandats d’arrêt contre Vladimir Poutine (Russie), Benjamin Netanyahou (Israël) ou des responsables du Hamas, en plus de ceux visant des leaders africains, a été saluée comme un signe d’universalité. Mais la réaction des États concernés – refus de coopération, menaces de représailles, campagnes de délégitimation – a révélé la faiblesse structurelle de la CPI.

Dans le même temps, la paralysie de la justice internationale face aux crimes commis en Syrie, en Ukraine, à Gaza ou au Myanmar, renforce le sentiment que le droit international est subordonné aux rapports de force et à la volonté politique des grandes puissances. Les critiques africaines se trouvent ainsi confortées : pourquoi juger Gbagbo ou el-Béchir, mais pas Bush, Blair, Poutine ou Netanyahou ?

VI. Justice pour qui ? Les victimes, les sociétés et la quête de réparation

Au-delà des débats géopolitiques, la CPI est aussi jugée à l’aune de sa capacité à rendre justice aux victimes. Or, beaucoup de survivants de crimes de masse en Afrique dénoncent la lenteur des procédures, l’éloignement de La Haye, la difficulté d’obtenir des réparations concrètes et la faible implication des sociétés locales dans le processus judiciaire.

La CPI a certes innové en prévoyant un Fonds au profit des victimes, mais les montants alloués restent limités et les réparations symboliques. Dans de nombreux cas, la justice transitionnelle locale (comités de vérité, tribunaux traditionnels, mécanismes communautaires) apparaît plus adaptée pour répondre aux besoins des victimes et favoriser la réconciliation.

Les sociétés civiles africaines, tout en critiquant la CPI, continuent de réclamer la fin de l’impunité et la poursuite des criminels, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Elles plaident pour une complémentarité réelle entre justice internationale et solutions locales.

VII. Quelles perspectives pour la justice internationale en Afrique ?

Face à la crise de légitimité de la CPI, plusieurs pistes de réforme sont évoquées :

  • Universalité : élargir la ratification du Statut de Rome, lever l’immunité des puissants, garantir l’égalité de traitement entre tous les États.
  • Indépendance : réduire la dépendance à l’égard du Conseil de sécurité, renforcer l’autonomie financière et opérationnelle de la CPI.
  • Efficacité : accélérer les procédures, renforcer la protection des victimes et des témoins, développer des bureaux régionaux en Afrique.
  • Complémentarité : articuler la justice internationale avec les juridictions nationales et régionales, soutenir les mécanismes de justice transitionnelle.

Pour l’Afrique, l’enjeu est de ne pas abandonner la lutte contre l’impunité, tout en exigeant une justice internationale plus équitable, plus ancrée dans les réalités locales et moins soumise aux rapports de force internationaux.

VIII. Conclusion

La relation entre la CPI et l’Afrique illustre les tensions entre l’idéal de justice universelle et la réalité des rapports de force internationaux. Si la CPI a permis des avancées majeures dans la lutte contre l’impunité, elle reste perçue par beaucoup comme un tribunal pour parias, incapable de juger les puissants et trop dépendante de la politique mondiale.
L’avenir du droit international dépendra de la capacité à réformer la CPI, à renforcer son indépendance et à garantir l’égalité devant la loi. Pour l’Afrique, il s’agit de continuer à défendre la justice pour tous, tout en refusant l’instrumentalisation et en construisant des solutions africaines crédibles et efficaces.

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