Le Kenya fait face à l’une des pires sécheresses de son histoire récente. Depuis plus de trois ans, les précipitations sont insuffisantes dans de vastes régions du nord et de l’est du pays, mettant en péril la sécurité alimentaire de millions de personnes. Si la crise humanitaire est profonde, elle révèle aussi la capacité d’innovation et de résilience des communautés locales, qui multiplient les initiatives pour s’adapter à un climat de plus en plus imprévisible.
Sécheresse, famine et exode rural
Dans les comtés d’Isiolo, de Turkana, de Marsabit ou de Garissa, les paysages sont marqués par la poussière, les pâturages brûlés et les rivières asséchées. Les éleveurs, qui constituent la majorité de la population de ces régions, voient leurs troupeaux décimés. Selon le gouvernement kényan, plus de 2,5 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë, et près de 1,5 million de têtes de bétail ont péri depuis 2022.
Les écoles ferment, faute d’eau et de nourriture. Les enfants souffrent de malnutrition, et les familles se déplacent vers les centres urbains ou les camps d’aide, espérant trouver de quoi survivre. « Nous avons perdu tout notre bétail. Nous vivons désormais de distributions alimentaires », confie Halima, mère de cinq enfants à Wajir.
Le changement climatique en accusation
Pour les experts, cette sécheresse n’est pas un accident isolé, mais un symptôme du changement climatique qui frappe l’Afrique de l’Est. Les cycles de pluies sont de plus en plus erratiques, alternant sécheresses prolongées et inondations soudaines. Les températures moyennes augmentent, accentuant l’évaporation et la dégradation des sols.
Le Kenya, dont l’économie dépend fortement de l’agriculture et de l’élevage, est particulièrement vulnérable. Les petits producteurs, qui n’ont pas accès à l’irrigation ou aux semences résistantes, subissent de plein fouet les aléas climatiques. Le gouvernement, appuyé par les agences de l’ONU et les ONG, a déclaré l’état d’urgence et lancé des plans d’aide, mais les besoins dépassent largement les ressources disponibles.
Initiatives locales et innovations pour la résilience
Face à l’ampleur de la crise, les communautés locales ne se résignent pas. Dans le comté de Turkana, des groupements de femmes ont mis en place des jardins communautaires irrigués au goutte-à-goutte, utilisant des pompes solaires pour économiser l’eau. À Marsabit, des éleveurs s’organisent en coopératives pour mutualiser les ressources, acheter des fourrages en gros et négocier de meilleurs prix pour leur bétail.
Des start-ups kényanes développent des applications mobiles permettant aux agriculteurs de recevoir des alertes météo, des conseils agricoles et des informations sur les marchés. Le recours à des semences améliorées, plus résistantes à la sécheresse, se généralise, de même que la diversification des cultures (sorgho, mil, légumineuses) pour réduire la dépendance au maïs.
Le rôle des ONG et de la solidarité internationale
Les ONG jouent un rôle crucial pour soutenir les populations vulnérables. Médecins Sans Frontières, Oxfam, la Croix-Rouge kényane et d’autres organisations distribuent de la nourriture, de l’eau potable, des kits d’hygiène et des semences. Elles forment aussi les communautés à la gestion durable des ressources naturelles, à la récupération des eaux de pluie et à la construction de puits.
La solidarité internationale est sollicitée, mais l’aide tarde parfois à arriver, concurrencée par d’autres crises mondiales. Le gouvernement kényan appelle à une mobilisation accrue pour financer la résilience à long terme, plutôt que de se limiter à l’urgence humanitaire.
Les défis de la gouvernance et de l’adaptation
La gestion de la sécheresse met en lumière les faiblesses de la gouvernance locale et nationale. La corruption, le manque de coordination entre agences, la faiblesse des infrastructures et l’insécurité dans certaines zones (présence d’al-Shabab à la frontière somalienne) compliquent la réponse à la crise.

Pour les spécialistes, il est urgent de renforcer les politiques d’adaptation au changement climatique : développement de l’irrigation, reboisement, accès au crédit pour les petits producteurs, assurance agricole, éducation à la gestion des risques. La décentralisation, qui donne plus de pouvoirs aux gouvernements locaux, est une opportunité à saisir pour adapter les solutions aux réalités de chaque territoire.
Vers une agriculture plus résiliente ?
Malgré la gravité de la situation, des signes d’espoir existent. Les jeunes, souvent mieux formés et connectés, s’engagent dans l’agroécologie, la transformation des produits locaux ou le commerce en ligne. Les femmes, longtemps marginalisées, prennent des initiatives et accèdent à des responsabilités dans les coopératives.
La crise actuelle pourrait accélérer la transition vers une agriculture kényane plus résiliente, moins dépendante du climat et plus inclusive. Mais cela suppose un engagement politique fort, des investissements massifs et une solidarité internationale renouvelée.
Conclusion : une urgence qui appelle des solutions durables
La sécheresse au Kenya est un avertissement pour toute l’Afrique de l’Est. Face à l’accélération du changement climatique, seule une mobilisation collective, alliant innovation, solidarité et bonne gouvernance, permettra de garantir la sécurité alimentaire et le développement durable des communautés rurales.