Ngugi wa Thiong’o : une vie au service de la littérature et de l’Afrique
Le monde des lettres africaines est en deuil. Ngugi wa Thiong’o, écrivain et dramaturge kényan, figure majeure de la littérature postcoloniale, s’est éteint à l’âge de 87 ans à Nairobi. Connu pour son engagement en faveur de la langue kikuyu, son combat contre la domination culturelle occidentale et son œuvre prolifique, Ngugi laisse une empreinte indélébile sur la pensée et la création littéraire du continent.
Les faits : disparition d’un monument de la littérature
Ngugi wa Thiong’o est décédé dans la nuit du 28 au 29 mai, entouré de sa famille. Hospitalisé depuis plusieurs semaines, il luttait contre une longue maladie. Sa mort a été confirmée par l’Université de Nairobi, où il avait enseigné, et par de nombreux écrivains et intellectuels africains qui saluent « un géant de la littérature mondiale ».
Un parcours exceptionnel
Né en 1937 dans une famille paysanne du centre du Kenya, Ngugi wa Thiong’o a connu la colonisation britannique, la lutte pour l’indépendance et les bouleversements politiques de son pays. Après des études à l’Université Makerere en Ouganda, il publie son premier roman, « Weep Not, Child », en 1964, premier roman d’Afrique de l’Est écrit en anglais à connaître un succès international.
Ngugi devient rapidement une figure de la contestation intellectuelle : ses romans, pièces de théâtre et essais dénoncent la violence coloniale, la corruption des élites postcoloniales et l’aliénation culturelle. Emprisonné en 1977 pour sa pièce « Ngaahika Ndeenda » (Je me marierai quand je voudrai), il choisit dès lors d’écrire exclusivement en kikuyu, sa langue maternelle, pour « libérer l’esprit africain ».
Un engagement pour la langue et l’identité
Ngugi wa Thiong’o est l’un des premiers écrivains africains à théoriser la nécessité de « décoloniser l’esprit », titre de son essai majeur publié en 1986. Pour lui, l’usage des langues africaines dans la littérature, l’éducation et la vie publique est un acte de résistance et de réappropriation. Il milite pour la traduction, la publication et la reconnaissance des œuvres en langues locales, contre l’hégémonie de l’anglais et du français.
Son œuvre, traduite dans de nombreuses langues, a inspiré des générations d’écrivains, d’enseignants et de militants à travers l’Afrique et la diaspora.
Une reconnaissance internationale
Ngugi wa Thiong’o a reçu de nombreux prix et distinctions : le prix Nonino, le prix Park Kyong-ni, des doctorats honoris causa dans plusieurs universités. Plusieurs fois pressenti pour le prix Nobel de littérature, il a toujours privilégié l’engagement sur le terrain à la quête des honneurs.
Ses romans – « Le Diable sur la croix », « Un grain de blé », « Pétales de sang » – sont étudiés dans les écoles et universités du monde entier. Son autobiographie, « Rêves en temps de guerre », retrace son parcours et son engagement.

Les réactions : hommage unanime en Afrique et dans le monde
La nouvelle de sa mort a suscité une vague d’émotion au Kenya et dans toute l’Afrique. Le président kényan, les écrivains Wole Soyinka, Chimamanda Ngozi Adichie et Alain Mabanckou, des universitaires, des étudiants et des lecteurs anonymes ont salué la mémoire d’un « père de la littérature africaine moderne ».
Des veillées, des lectures publiques et des émissions spéciales sont organisées à Nairobi, à Londres, à New York et à Paris pour célébrer son héritage.
Un héritage vivant : la littérature comme arme de libération
Ngugi wa Thiong’o laisse une œuvre immense, mais aussi un message : « La langue est le dépositaire de la mémoire, de la culture et de la dignité d’un peuple ». Son combat pour la reconnaissance des langues africaines, pour la justice sociale et pour l’émancipation intellectuelle reste d’une actualité brûlante.
De nombreux jeunes auteurs africains revendiquent son héritage, écrivent en swahili, en yoruba, en wolof ou en amharique, et s’engagent dans la défense des cultures locales.
Conclusion : Ngugi wa Thiong’o, un phare pour l’Afrique et le monde
La disparition de Ngugi wa Thiong’o est une perte immense, mais son œuvre et son combat continuent d’inspirer des millions de lecteurs. À l’heure où l’Afrique cherche à affirmer sa voix dans le concert des nations, le message de Ngugi – la dignité par la langue, la liberté par la culture – résonne plus fort que jamais.