Kagame, Poutine, Trump : Le retour des « roitelets », l’épuisement du droit international et la perspective africaine

U.S. President Donald Trump meets President Paul Kagame of Rwanda during the World Economic Forum (WEF) annual meeting in Davos, Switzerland January 26, 2018. REUTERS/Carlos Barria

Introduction

Depuis le début du XXIᵉ siècle, la scène internationale est marquée par la résurgence de dirigeants dits « hommes forts » ou « roitelets », qui concentrent le pouvoir, privilégient la force sur le droit et remettent en cause l’ordre multilatéral fondé sur des règles. Paul Kagame au Rwanda, Vladimir Poutine en Russie, Donald Trump aux États-Unis incarnent cette tendance, chacun à sa manière. Cette dynamique s’accompagne d’une crise profonde du droit international, miné par ses incohérences, ses doubles standards et le non-respect des puissants, notamment occidentaux. Pour l’Afrique, qui a longtemps subi l’arbitraire des grandes puissances et la faiblesse des institutions internationales, ce contexte pose la question : comment éviter la loi de la jungle ? Ce dossier propose une analyse détaillée, des études de cas, des citations d’experts et un éclairage africain.

I. Les « roitelets » : une dynamique mondiale

1.1. Définition et caractéristiques

Le terme « roitelet » désigne un chef d’État qui exerce un pouvoir personnel, centralisé, souvent au détriment des institutions démocratiques. Il s’agit d’une figure qui, sous couvert de stabilité ou de renouveau, marginalise les contre-pouvoirs, instrumentalise la justice et fait de la force un outil politique central. Le politologue camerounais Achille Mbembe note :

« Le roitelet moderne n’est pas seulement l’homme d’un régime, il est le régime. »

1.2. Trois figures emblématiques

  • Paul Kagame (Rwanda) : Artisan de la reconstruction post-génocide, il dirige d’une main de fer depuis 2000. Son pouvoir s’appuie sur la stabilité, la croissance et la lutte contre la corruption, mais aussi sur la répression de l’opposition, le contrôle des médias et l’exil forcé des dissidents. Selon Human Rights Watch, « les arrestations arbitraires et les disparitions restent une réalité au Rwanda ».
  • Vladimir Poutine (Russie) : Au pouvoir depuis 2000, Poutine a restauré la puissance russe par la centralisation, la répression et l’usage de la force, notamment en Ukraine. Il a modifié la Constitution pour prolonger son mandat, criminalisé l’opposition et utilisé la guerre comme instrument de légitimité.
  • Donald Trump (États-Unis) : Président de 2017 à 2021, il a défié les normes démocratiques, attaqué la presse, refusé de reconnaître sa défaite et polarisé la société américaine. Son style populiste, fondé sur la force verbale et la défiance envers les institutions, a marqué un tournant dans la politique américaine.

1.3. Une tendance globale

Ce phénomène n’est pas limité à ces trois figures. En Turquie (Recep Tayyip Erdoğan), en Inde (Narendra Modi), en Égypte (Abdel Fattah al-Sissi), en Ouganda (Yoweri Museveni), la liste des « hommes forts » s’allonge. Ils partagent une rhétorique nationaliste, une personnalisation du pouvoir et la marginalisation des mécanismes de droit.

II. La prévalence des solutions de force : études de cas

2.1. Rwanda : stabilité et répression

Kagame justifie la centralisation du pouvoir par la nécessité d’éviter le chaos et de garantir la sécurité. Mais cette stabilité a un coût élevé :

  • Répression politique : En 2023, l’opposante Victoire Ingabire a dénoncé « un climat de peur » et l’impossibilité d’organiser une opposition réelle.
  • Justice instrumentalisée : Les procès politiques et les accusations de terrorisme servent à neutraliser les voix dissidentes.
  • Interventions régionales : Le Rwanda est accusé d’ingérence militaire en RDC, exacerbant les tensions régionales.

2.2. Russie : la force comme politique étrangère

Poutine a fait de la force un outil central :

  • Annexion de la Crimée (2014), guerre en Ukraine (2022-2025), soutien à des régimes autoritaires (Syrie, Biélorussie).
  • Répression intérieure : empoisonnement d’opposants (Alexeï Navalny), lois liberticides, contrôle total des médias.
  • Citations d’experts : La politologue Tatiana Stanovaya explique : « Poutine considère la force comme la seule garantie de survie du régime. »

2.3. États-Unis : l’exemple Trump

Trump a démontré que même dans une démocratie ancienne, la tentation de la force existe :

  • Attaque du Capitole (2021), remise en cause de l’État de droit, instrumentalisation de la justice.
  • Politique étrangère unilatérale : retrait d’accords internationaux, menaces militaires (Iran, Corée du Nord), mépris pour l’ONU.

2.4. Afrique : la contagion

De nombreux régimes africains s’inspirent de ce modèle :

  • Coup d’État au Mali, au Burkina Faso, au Niger : justification par la sécurité, marginalisation des civils.
  • Répression au Tchad, en Égypte, en Ouganda : force policière, lois d’exception, contrôle de l’information.

III. Le droit international : un système en crise

3.1. Les principes du droit international

Le droit international repose sur :

  • La souveraineté des États
  • L’interdiction de l’usage de la force sauf légitime défense ou mandat de l’ONU
  • Le respect des droits humains
  • La justice internationale (CPI, tribunaux ad hoc)

3.2. Incohérences et deux poids deux mesures

a) L’Occident, champion du double standard

De nombreux experts, comme le juriste sénégalais Alioune Tine, dénoncent l’hypocrisie occidentale :

« L’Occident applique le droit international aux autres, mais s’en exonère quand ses intérêts sont en jeu. »

Exemples :

  • Irak 2003 : invasion américaine sans mandat de l’ONU, violation flagrante du droit international.
  • Libye 2011 : intervention pour « protéger les civils » qui a abouti à un changement de régime et au chaos.
  • Soutien à des régimes autoritaires : pour des raisons stratégiques, économiques ou migratoires.

b) Les grandes puissances et l’impunité

  • Russie : veto systématique au Conseil de sécurité pour protéger ses intérêts (Syrie, Ukraine).
  • Chine : blocage sur les questions des droits humains (Xinjiang, Hong Kong).
  • États-Unis : refus de reconnaître la compétence de la CPI pour ses propres ressortissants.

c) Justice internationale sélective

La CPI a principalement poursuivi des dirigeants africains (Béchir, Gbagbo, Kony), alors que les crimes de grandes puissances restent impunis. Selon l’ONG Open Society Justice Initiative :

« La justice internationale ne peut être crédible si elle ne s’applique qu’aux faibles. »

3.3. Épuisement du système et perte de confiance

  • Blocages au Conseil de sécurité : paralysie sur la Syrie, l’Ukraine, la Palestine.
  • Faiblesse de la CPI : dépendance à la coopération des États, absence de moyens coercitifs.
  • Désengagement des États : retrait des États-Unis de plusieurs agences, montée du nationalisme.

IV. Citations d’experts et analyses

  • Fatou Bensouda (ancienne procureure de la CPI) :

« La justice internationale ne doit pas être l’instrument des puissants, mais le rempart des faibles. »

  • Achille Mbembe (philosophe) :

« Le retour des roitelets traduit l’épuisement des modèles démocratiques importés et la crise de légitimité des institutions internationales. »

  • Kofi Annan (ex-secrétaire général de l’ONU, décédé) :

« Sans respect du droit, il n’y a pas de paix durable. La force ne peut remplacer la justice. »

V. Perspectives africaines : entre défiance et aspiration à la justice

5.1. L’Afrique, victime et actrice

L’Afrique a longtemps été le laboratoire des interventions internationales, des sanctions sélectives et des expériences de justice transitionnelle. Mais elle est aussi le théâtre d’innovations :

  • Tribunaux Gacaca au Rwanda : justice communautaire après le génocide, axée sur la vérité et la réconciliation.
  • Commission vérité et réconciliation en Afrique du Sud : modèle d’écoute, de pardon et de réparation.
  • Cour africaine des droits de l’homme : embryon de justice régionale, encore limité par le manque de moyens et la réticence des États.

5.2. La montée de la contestation

La jeunesse africaine, les mouvements citoyens (Y’en a Marre au Sénégal, Balai Citoyen au Burkina Faso), les médias indépendants exigent plus de justice, de transparence et de respect du droit. Ils dénoncent l’impunité des dirigeants, la manipulation des institutions et l’hypocrisie des grandes puissances.

5.3. L’appel à la réforme du système international

Les voix africaines réclament :

  • Réforme du Conseil de sécurité : plus de représentation africaine, limitation du droit de veto.
  • Justice internationale équitable : poursuite de tous les crimes, y compris ceux des puissants.
  • Soutien aux mécanismes africains : financement, indépendance, reconnaissance internationale.

5.4. Vers une diplomatie africaine du droit

Des initiatives émergent pour défendre les intérêts africains :

  • Union africaine : médiation dans les conflits (Éthiopie, Soudan, RDC), adoption de la Charte africaine de la démocratie.
  • Groupe africain à l’ONU : coordination des positions, plaidoyer pour une gouvernance mondiale plus juste.

VI. Quelles alternatives à la loi de la jungle ?

6.1. Revaloriser le droit international

Le droit doit redevenir la référence, non l’exception. Cela implique :

  • Respect universel des règles : aucun État, aussi puissant soit-il, ne doit s’en exonérer.
  • Sanctions crédibles pour les violations : y compris contre les grandes puissances.
  • Renforcement des mécanismes régionaux : complémentarité entre justice internationale et solutions africaines.

6.2. Promouvoir la démocratie et la participation

  • Soutien à la société civile : indépendance des médias, protection des défenseurs des droits humains.
  • Éducation au droit et à la citoyenneté : pour former une génération exigeante et responsable.
  • Dialogue inclusif : retour aux traditions africaines de palabre, intégration des femmes et des jeunes dans la gouvernance.

6.3. Réformer les institutions internationales

  • Conseil de sécurité plus représentatif
  • CPI renforcée, indépendante et universelle
  • Nouveaux outils de prévention des conflits : diplomatie préventive, médiation, sanctions ciblées.

Conclusion

La montée des « roitelets » puissants, la prévalence des solutions de force et l’épuisement du droit international menacent la paix, la justice et la dignité humaine. L’Afrique, longtemps victime de ce système, doit être au cœur de la refondation d’un ordre mondial fondé sur le droit, l’égalité et la solidarité. Cela passe par une réforme profonde des institutions, un engagement sans faille pour la justice et la participation active des sociétés civiles.
Comme le rappelait Kofi Annan :

« Il n’y a pas de paix sans justice, pas de justice sans respect du droit, pas de droit sans engagement de tous. »

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