Le 15 juillet 2025, le ministère japonais de la Défense a rendu public son très attendu Livre blanc annuel, document de référence qui passe au crible la situation stratégique du Japon et dessine la feuille de route sécuritaire pour les années à venir. L’édition 2025 marque une rupture dans le ton, la doctrine et les priorités d’allocation des ressources, en sonnant une « alerte rouge » sur l’expansion militaire chinoise. L’introduction du rapport, adoptant un vocabulaire rare dans la tradition diplomatique japonaise, qualifie « l’évolution accélérée et agressive » de la Chine de « péril direct et systémique » pour la stabilité régionale.
Une montée en puissance chinoise jugée sans précédent
Selon le Livre blanc, la Chine a accru la fréquence de ses incursions aériennes et maritimes près de l’archipel des Senkaku (Diaoyu en chinois), que le Japon administre mais que Pékin revendique avec insistance. Le rapport détaille :
- Un doublement des sorties de navires garde-côtes chinois autour des îles contestées au premier semestre 2025
- Des exercices militaires conjoints sino-russes plus massifs et plus fréquents en mer d’Okhotsk, à portée de missile du territoire japonais
- L’expansion rapide de la flotte de surface chinoise (ports, porte-avions, sous-marins) et construction de nouvelles bases sur des îles artificielles en mer de Chine orientale
En parallèle, le Livre blanc pointe « l’optimisation systématique des moyens de guerre électronique et d’armes hypersoniques chinoises », ainsi que le caractère « délibérément ambigu » de la doctrine militaire de Pékin, qui entretient le flou sur l’emploi de la force dans ses zones d’intérêts vitaux.

Modernisation accélérée et révision de la doctrine japonaise
Face à ce constat alarmant, le gouvernement de Fumio Kishida affiche une volonté de changement : pour la première fois depuis l’après-guerre, le Livre blanc évoque la possibilité d’attaques cyber et spatiales « préemptives » en cas de menace grave. Il préconise :
- La hausse du budget de la défense à 2,2% du PIB (record historique)
- Le déploiement de batteries anti-missiles hypersoniques sur l’arc Nansei et à Hokkaido
- L’intégration renforcée des forces d’autodéfense japonaises avec le Commandement Indo-Pacifique des États-Unis
- Un plan de recrutement de 30 000 nouveaux réservistes et la collaboration active avec l’industrie nationale des hautes technologies de défense (Mitsubishi Heavy Industries, Kawasaki)
Cette modernisation marque aussi une évolution culturelle : les débats publics sur la « défense active » remplacent le traditionnel pacifisme constitutionnel, dans un Japon confronté au vieillissement démographique, à un voisinage instable (Chine, Corée du Nord, Russie), et à la fragilité des équilibres maritimes régionaux.
Mer de Chine orientale : points chauds et démonstrations de force
Le Livre blanc décrit la zone comme « l’un des théâtres les plus dangereux du globe ». Depuis début 2025, plusieurs incidents ont renforcé les craintes d’un engrenage accidentel :
- Un face-à-face tendu entre un destroyer japonais et des frégates chinoises près de l’îlot Kuba
- L’arraisonnement d’un chalutier japonais, qui a ravivé la mémoire de crises antérieures
- Des survols répétés d’avions de chasse chinois, ayant traversé la zone d’identification de défense aérienne nippone, forçant Tokyo à faire décoller ses propres F-35
Ces épisodes ont motivé une plainte officielle du Japon à l’ONU en juin, une réponse ferme de la Chine accusant Tokyo de « militarisation de la région », et une résolution de la Chambre basse japonaise condamnant tout changement par la force du statu quo territorial.
Alliances, diplomatie et débats internes
Tokyo capitalise sur son alliance historique avec les États-Unis, tout en cherchant à diversifier ses partenariats régionaux : participation accrue au dialogue Quad (Inde, Australie, États-Unis, Japon), manœuvres avec la France et le Royaume-Uni en mer de Chine, renforcement des liens sécuritaires avec les Philippines et le Vietnam.
Mais l’opinion japonaise n’est pas homogène : si une majorité soutient la hausse des moyens de défense, des pacifistes historiques et l’aile gauche de la coalition au pouvoir réclament un maintien strict de la Constitution pacifiste et la priorité au dialogue diplomatique. Des organisations citoyennes appellent à une « diplomatie préventive » et alertent sur les risques de course à l’armement.
L’ombre de la Corée du Nord et la guerre en Ukraine
Le Livre blanc 2025 inclut un chapitre inédit sur la prolifération nucléaire en Asie de l’Est. Tokyo estime que le développement de missiles balistiques de portée intermédiaire (coréens et chinois) aggrave l’instabilité : les satellites espions japonais n’enregistrent « aucun signe de désescalade » à Pyongyang.
La crise ukrainienne, analysée comme un précédent, nourrit en outre la doctrine défensive du gouvernement : pour Tokyo, « l’agression russe en Europe rappelle que la paix régionale n’est jamais acquise et dépend de capacités nationales robustes et de partenariats solides ».

Innovation technologique et guerre hybride
Pour répondre à la modernisation chinoise, le Livre blanc recommande une intégration plus poussée de l’intelligence artificielle, des drones, de la cyberdéfense et des systèmes spatiaux dans l’architecture sécuritaire nationale.
Le Japon investit également dans la résilience des infrastructures critiques (ports, centrales nucléaires, réseaux télécoms), multiplie les exercices de riposte à de potentielles attaques hybrides (désinformation, sabotage électrique, cyberattaques), et lance des programmes de sensibilisation à la sécurité auprès de la population (alertes SMS, simulations d’évacuation, formation citoyenne).
Scénarios à moyen terme et perspectives
Aux yeux des experts, le Livre blanc 2025 signe la fin d’une ère : le Japon pacifiste et discret cède la place à une puissance régionale pro-active, déterminée à dissuader toute agression par l’équilibre de la force. Reste à savoir si ce virage sécuritaire suffira à endiguer les ambitions chinoises, à rassurer la population, et à préserver la croissance économique du pays dans une Asie où la concurrence et les tensions sont vouées à se multiplier.
Pour l’heure, la publication du document a entraîné une vive réaction de Pékin, qui accuse Tokyo de « nourrir la confrontation », mais aussi une vague d’éditoriaux favorables dans la presse Asie-Pacifique, saluant « une prise de conscience essentielle » des nouveaux rapports de force mondiaux.
Dans les prochaines semaines, le débat parlementaire sur le budget de la défense promet d’alimenter une réflexion nationale inédite sur l’équilibre entre sécurité, souveraineté, et ouverture internationale.