Exercices maritimes Inde-Afrique : enjeux sécuritaires et alliances émergentes dans l’océan Indien

L’océan Indien, carrefour stratégique où transitent 80 % du commerce mondial de pétrole et 50 % des conteneurs, devient en 2025 le théâtre d’une recomposition géopolitique majeure entre l’Inde et les nations africaines riveraines. Les récents exercices navals conjoints INDIAFRICAN 2025, organisés au large de Zanzibar avec la participation de 15 pays africains, marquent un tournant dans la militarisation de cette zone cruciale, traditionnellement dominée par les puissances occidentales et la Chine. Ces manœuvres, présentées comme une réponse à la piraterie et aux trafics illicites, cachent une rivalité plus large pour le contrôle des routes maritimes et l’accès aux ressources énergétiques, dans un contexte de tensions accrues entre New Delhi et Pékin.

L’Inde, dont 55 % des importations de pétrole transitent par le détroit d’Ormuz et le canal du Mozambique, a renforcé depuis 2023 sa coopération avec les Comores, Maurice, les Seychelles et la Tanzanie. Le projet SAGAR (Security and Growth for All in the Region), doté de 2 milliards de dollars, finance des radars côtiers, des drones sous-marins et des centres de formation navale à Mombasa et Maputo. En contrepartie, New Delhi obtient un accès privilégié aux ports de Doraleh (Djibouti) et de Bagamoyo (Tanzanie), points clés pour surveiller les activités chinoises dans la région. La Chine, qui gère déjà le port de Hambantota au Sri Lanka et investit massivement dans le canal de Suez, réplique en signant des accords de défense avec Madagascar et le Mozambique, où ses sociétés exploitent d’immenses gisements de gaz offshore.

Les enjeux sécuritaires locaux se mêlent à cette rivalité globale. Dans le canal du Mozambique, les attaques de pirates somaliens ont diminué de 70 % depuis 2020 grâce aux patrouilles conjointes, mais de nouvelles menaces émergent. Les trafics de drogue en provenance d’Afghanistan, les prises d’otages contre rançon par des groupes armés mozambicains (comme les Shebab en Cabo Delgado) et la pêche illégale massive menacent la stabilité régionale. Lors des exercices INDIAFRICAN 2025, les marines indienne et sud-africaine ont testé un système innovant de surveillance par satellite et IA, capable de traquer 10 000 navires simultanément et d’identifier les comportements suspects.

Cependant, cette militarisation croissante inquiète les populations locales. À Zanzibar, des pêcheurs dénoncent les restrictions d’accès aux zones côtières militarisées, tandis qu’à Madagascar, l’installation d’une base indienne à Nosy Be a provoqué des manifestations contre « l’impérialisme des puissances étrangères ». Les ONG africaines, comme le Réseau pour la sécurité maritime en Afrique (RESMA), alertent sur les risques d’une surenchère militaire au détriment des besoins sociaux. « Les budgets consacrés aux frégates modernes pourraient financer 100 hôpitaux en Tanzanie », déplore Fatima Ahmed, coordinatrice de RESMA.

Les retombées économiques de cette coopération restent mitigées. Si l’Inde a annulé la dette de 400 millions de dollars des Comores en échange de droits de pêche exclusifs, les transferts technologiques promis tardent à se matérialiser. Les chantiers navals de Durban, censés produire des patrouilleurs « made in Africa » avec des brevets indiens, fonctionnent à 30 % de leur capacité en raison de pénuries de main-d’œuvre qualifiée.

Pourtant, des solutions équilibrées émergent. Le Kenya a lancé en 2024 le programme Blue Economy 2030, combinant surveillance maritime, développement de l’aquaculture durable et tourisme côtier. L’île Maurice, avec l’aide de l’UE, expérimente des drones solaires pour nettoyer les déchets plastiques tout en surveillant les activités illégales. Ces initiatives montrent que la sécurité maritime ne peut se résumer à une logique militaire, mais doit intégrer des dimensions environnementales et sociales.

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