Introduction
L’Éthiopie et l’Érythrée, deux voisins de la Corne de l’Afrique, partagent une histoire complexe faite de guerres, de rapprochements, de ruptures et de transformations politiques majeures. À l’heure où l’Éthiopie traverse une phase de recomposition politique profonde, marquée par la récente élection présidentielle d’octobre 2024 et la radiation du parti historique du Tigré, l’Érythrée poursuit une trajectoire autoritaire et isolationniste. Quelles leçons tirer de ces deux itinéraires pour la stabilité, la démocratie et la paix en Afrique de l’Est ?
I. Éthiopie : recomposition politique et défis de la paix
Un nouveau président, symbole d’ouverture diplomatique
En octobre 2024, l’Éthiopie a élu Taye Atske Sélassié à la présidence, un diplomate chevronné qui a appelé à la paix nationale et régionale lors de son discours inaugural1. Son profil, marqué par des décennies de service dans la diplomatie et les affaires étrangères, laisse espérer un engagement plus actif sur la scène régionale, notamment pour la paix au Soudan et la stabilité de la Corne de l’Afrique.
Le défi de la réconciliation nationale
La société éthiopienne reste profondément marquée par la guerre civile du Tigré (2020-2022), qui a fait des centaines de milliers de morts et déplacé des millions de personnes6. Malgré la victoire électorale du Premier ministre Abiy Ahmed et la mainmise de son parti sur le Parlement6, le pays reste fragilisé par les tensions ethniques, le ressentiment dans les régions marginalisées et la défiance envers le pouvoir central.
La radiation du Front populaire de libération du Tigré (TPLF), longtemps tout-puissant, par la Commission électorale nationale en mai 2025, symbolise la volonté du pouvoir de tourner la page de l’ère tigréenne2. Mais cette exclusion risque d’alimenter la frustration et de compliquer la réconciliation nationale.
Les défis structurels
L’Éthiopie doit aussi faire face à des défis structurels :
- Gestion de la diversité ethnique : Le fédéralisme ethnique, instauré dans les années 1990, est remis en cause par la montée des revendications régionales et les violences intercommunautaires.
- Crise humanitaire : Plus de 400 000 personnes restent menacées par la famine dans le Tigré.
- Défis économiques : Inflation, chômage, endettement et difficultés à financer les prochaines élections fragilisent la stabilité du pays3.

Une diplomatie régionale proactive
Le nouveau président Taye Atske Sélassié a réaffirmé l’engagement de l’Éthiopie à jouer un rôle moteur dans la paix régionale, en particulier au Soudan, en proie à la guerre civile1. Le pays doit aussi gérer des contentieux majeurs avec ses voisins, notamment autour du barrage de la Renaissance sur le Nil Bleu, qui suscite la méfiance de l’Égypte et du Soudan6.
II. Érythrée : l’exception autoritaire et l’isolement
Un régime verrouillé
L’Érythrée, indépendante depuis 1993, reste l’un des régimes les plus fermés et militarisés du continent. Sous la présidence d’Issayas Afeworki, le pays n’a jamais organisé d’élections nationales, ne tolère aucune opposition et impose un service militaire à durée indéterminée. Les libertés publiques sont quasi inexistantes, les médias muselés, et des milliers de jeunes fuient chaque année la répression.
Une politique régionale ambiguë
Longtemps en guerre ouverte avec l’Éthiopie, l’Érythrée a signé la paix en 2018, mais la normalisation reste fragile. Le régime a été accusé d’ingérence dans la guerre du Tigré, où ses troupes ont été impliquées dans de graves violations des droits humains. Malgré l’ouverture de quelques frontières et un léger assouplissement des relations, l’Érythrée reste largement isolée sur la scène internationale.
Résilience et limites du modèle érythréen
Si le régime se maintient par la force et la discipline, il paie un lourd tribut social et économique :
- Exode massif de la jeunesse
- Dépendance à la diaspora
- Absence de développement économique durable
- Image internationale dégradée
III. Deux trajectoires, un même horizon : quelles leçons pour la région ?
1. La paix ne se décrète pas : elle se construit
L’expérience éthiopienne montre que la paix nationale ne peut être obtenue sans une véritable inclusion politique, une reconnaissance des diversités et un dialogue sincère. La radiation du TPLF, si elle peut calmer temporairement le jeu politique, risque de laisser des rancœurs durables si elle n’est pas accompagnée de mesures de réconciliation et d’inclusion2.
2. L’autoritarisme n’est pas une solution durable
L’Érythrée, qui a opté pour le verrouillage politique, l’absence de pluralisme et la militarisation de la société, reste prisonnière de son isolement et de ses crises internes. L’absence d’espace civique et de dialogue prive la société de ses forces vives et nourrit l’exil massif de la jeunesse.
3. Le développement passe par la gouvernance et l’ouverture
Les deux pays montrent que la stabilité ne peut être durable sans la participation de tous, le respect des droits humains et une gouvernance transparente. L’Éthiopie, malgré ses avancées économiques, reste vulnérable tant que la question des minorités et de la justice n’est pas réglée. L’Érythrée, en refusant toute ouverture, s’enferme dans une impasse.

4. La région a besoin de coopération et de médiation
Les tensions persistantes autour du Nil, du Soudan ou du Tigré montrent que la paix régionale passe par la coopération, la médiation et le respect du droit international. L’élection d’un président éthiopien à fort profil diplomatique pourrait ouvrir de nouvelles perspectives de dialogue1.
Conclusion
L’Éthiopie et l’Érythrée offrent deux trajectoires contrastées, mais complémentaires pour comprendre les défis de la Corne de l’Afrique. L’une cherche à se réinventer dans la douleur, entre ouverture diplomatique, exclusion politique et crise humanitaire. L’autre s’enferme dans l’autoritarisme et l’isolement, au prix d’un exode massif et d’un développement bloqué.
La grande leçon pour la région est que la paix, la stabilité et le développement ne peuvent être imposés par la force ou l’exclusion. Ils demandent une gouvernance inclusive, un dialogue constant et une ouverture sur le monde. Alors que la Corne de l’Afrique reste sous tension, l’avenir dépendra de la capacité de ses dirigeants à tirer les enseignements du passé, à privilégier la négociation sur la confrontation, et à placer l’humain au cœur du projet politique.