Responsabilité pénale des fauteurs de guerre en Afrique : l’urgence d’un sursaut éthique et juridique
L’Afrique paie, année après année, un tribut insoutenable aux guerres, aux violences armées, aux ambitions personnelles et aux ingérences étrangères. Du Sahel à la Corne, des Grands Lacs au bassin du Congo, le continent est le théâtre de conflits qui se soldent par des milliers de morts, des populations déplacées, des économies ruinées, des enfances sacrifiées et des sociétés entières plongées dans la misère et la faim. Derrière chaque crise, il y a des visages, des noms, des responsabilités. Mais trop souvent, l’impunité règne, les fauteurs de guerre échappent à la justice, et les soutiens logistiques, financiers ou politiques aux massacres restent dans l’ombre.
Pourquoi l’Afrique saigne-t-elle encore ?
La question n’est pas seulement celle de la pauvreté, de l’histoire ou du sous-développement. Elle est aussi, et peut-être surtout, celle de la responsabilité individuelle. Qui arme les milices ? Qui planifie les offensives contre les civils ? Qui, dans les capitales occidentales, orientales ou africaines, ferme les yeux sur les trafics d’armes, les violations du droit humanitaire, les discours de haine ? Qui, enfin, tire profit du chaos, du sang et des larmes ?
Il est temps de nommer les choses. Les guerres africaines ne sont pas des fatalités. Elles sont le résultat de choix, d’ordres donnés, de complicités actives ou passives. Les chefs de guerre, les politiciens corrompus, les généraux sans scrupules, mais aussi les marchands d’armes, les financiers occultes et certains États qui instrumentalisent les conflits pour leurs intérêts géostratégiques, portent une responsabilité écrasante dans la perpétuation de ces tragédies.
Le droit international humanitaire : un rempart trop souvent bafoué
Les principes du droit international humanitaire sont pourtant clairs : la responsabilité pénale individuelle pour crimes de guerre est une règle ancienne, reconnue par le droit coutumier et les conventions internationales25. Nul ne peut se retrancher derrière l’obéissance à un ordre manifestement illégal pour échapper à la justice. Les auteurs matériels des crimes, mais aussi leurs commanditaires, leurs complices, les supérieurs hiérarchiques qui ferment les yeux ou laissent faire, sont tous justiciables devant les tribunaux nationaux ou internationaux35.
Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, les conventions de Genève, les statuts des tribunaux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, tous affirment ce principe fondamental : il n’y a pas d’impunité pour les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides. Les exonérations sont strictement limitées à des cas de contrainte ou d’absence de discernement, mais jamais à la simple exécution d’ordres illégaux.
L’Afrique, terrain d’expérimentation ou victime consentante ?
Pourquoi alors, malgré cette architecture juridique, l’Afrique continue-t-elle d’être le laboratoire de toutes les violences et de toutes les impunités ? Pourquoi les responsables des massacres, des déplacements forcés, des famines organisées, des viols de masse, circulent-ils librement, parfois même honorés ou recyclés dans de nouvelles fonctions ?
La réponse est double. D’une part, la faiblesse des institutions nationales, souvent gangrenées par la corruption ou instrumentalisées par les pouvoirs en place, empêche la tenue de procès équitables et la poursuite effective des criminels. D’autre part, la communauté internationale, malgré ses déclarations, peine à imposer la justice universelle, par calcul politique ou par crainte de déstabiliser des alliés stratégiques.
Les grandes et moyennes puissances, qui investissent, arment ou soutiennent des régimes ou des groupes armés, portent une part de responsabilité écrasante. Elles ne peuvent plus se contenter de discours sur la paix et la stabilité tout en alimentant, directement ou indirectement, les foyers de guerre.
L’appel à la justice : un impératif moral et politique
Il est temps de poser, avec force et clarté, la question de la responsabilité individuelle des fauteurs de guerre et de leurs soutiens. Il ne s’agit pas seulement d’un enjeu juridique, mais d’un impératif moral, politique et civilisationnel.
La justice pénale internationale doit être renforcée, les mécanismes de coopération judiciaire entre États africains et avec la Cour pénale internationale doivent être systématisés. Les immunités de fonction doivent être strictement limitées, et les États qui hébergent ou protègent des criminels de guerre doivent être mis face à leurs responsabilités.
Il faut aussi oser la transparence sur les circuits financiers, les ventes d’armes, les complicités diplomatiques. Les sociétés civiles africaines, les médias libres, les ONG doivent pouvoir enquêter, documenter, dénoncer sans craindre la répression ou l’exil.
L’Afrique debout face à l’impunité
L’Afrique ne doit plus être la scène d’un théâtre de l’horreur où les bourreaux dictent l’histoire. Elle doit devenir le laboratoire d’une justice exemplaire, d’une mémoire partagée, d’une exigence de vérité. Les victimes, les survivants, les peuples meurtris par la guerre ont droit à la justice, à la réparation, à la reconnaissance de leur souffrance.
La communauté internationale, si prompte à condamner, doit aussi agir : sanctions ciblées, poursuites extraterritoriales, soutien aux juridictions africaines, protection des témoins et des défenseurs des droits humains. Il n’y aura pas de paix durable sans justice. Il n’y aura pas de développement sans la fin de l’impunité.
Conclusion : Pour une Afrique libre, juste et digne
J’en appelle, en tant qu’éditorialiste et militant des droits de l’homme, à un sursaut éthique et juridique. Que chaque chef de guerre, chaque complice, chaque financier de la mort sache qu’il sera poursuivi, jugé, condamné. Que chaque État, chaque organisation internationale prenne ses responsabilités. L’Afrique ne veut plus de sang, de larmes, de misère. Elle veut la justice, la paix, la dignité. C’est là le combat de notre génération, et il ne souffrira aucun renoncement.
Christian Sabba
Editorialiste, militant de la liberté et des droits de l’homme