La disparition annoncée du franc CFA, monnaie héritée de la colonisation, marque-t-elle une rupture historique ou une simple mise à jour technique ? Alors que les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) s’apprêtent à adopter une nouvelle devise en 2025, les espoirs de souveraineté se heurtent aux réalités économiques mondiales. Cet article explore les enjeux de cette réforme, entre symboles politiques et défis concrets.
Contexte historique : Le poids d’un héritage controversé
Créé en 1945 sous le nom de « franc des Colonies françaises d’Afrique », le CFA a longtemps symbolisé la dépendance économique postcoloniale. Son arrimage à l’euro (via le Trésor français) et la centralisation de 50 % des réserves de change à Paris alimentaient les critiques. En 2020, la décision de remplacer le CFA par l’« Eco » avait suscité l’enthousiasme, mais les modalités techniques – maintien de la parité avec l’euro et rôle limité de la BCEAO – avaient tempéré les ardeurs. La réforme de 2025 va plus loin : suppression du dépôt obligatoire en France, création d’un fonds souverain régional et adoption d’un nouveau nom, le « Néo ».
Les défis de la transition monétaire
La réussite de cette réforme dépendra de trois facteurs clés. Premièrement, la gestion des réserves de change, cruciale pour éviter une dépréciation brutale. Les pays de l’UEMOA détiennent aujourd’hui 14 milliards d’euros de réserves, mais leur répartition (40 % en or, 30 % en devises étrangères) reste fragile face aux chocs externes. Deuxièmement, la crédibilité institutionnelle de la BCEAO, longtemps perçue comme un relais des intérêts français. La nomination d’un gouverneur ivoirien et l’ouverture du conseil d’administration aux représentants du secteur privé africain visent à rassurer les marchés. Enfin, l’adhésion populaire : dans des économies où 70 % des transactions se font en cash, le succès du Néo dépendra de sa stabilité face au dollar et au franc CFA émis par la CEMAC (Afrique centrale).

Impacts régionaux et réactions internationales
Si le Sénégal et la Côte d’Ivoire saluent une « libération mentale », le Mali et le Burkina Faso – dirigés par des juntes – dénoncent une réforme « cosmétique ». Pour le professeur Ndongo Samba Sylla, économiste sénégalais, « sans diversification économique, changer de monnaie revient à repeindre les murs d’une maison fissurée ». À l’international, la France affiche un soutien prudent, tandis que la Chine et la Turquie voient dans cette réforme une opportunité pour accroître leurs investissements.
Perspectives : Vers un modèle monétaire panafricain ?
La réforme de la BCEAO pourrait inspirer la CEDEAO, qui planifie depuis 2003 une monnaie unique pour ses quinze États membres. Toutefois, les divergences entre le Nigeria (pétrolier, anglophone) et les pays francophones compliquent les négociations. À plus long terme, l’enjeu sera d’éviter les écueils du rand sud-africain – monnaie souveraine mais vulnérable aux capitaux spéculatifs – et de construire une politique monétaire alignée sur les besoins réels des populations.