Deux décennies après la crise politico-militaire qui a fracturé la Côte d’Ivoire, la question de la réconciliation nationale reste une urgence. Tandis que le pays célèbre ses réussites économiques – croissance régulière, investissements massifs, rayonnement régional –, les cicatrices du passé subsistent au sein de la société. L’enjeu majeur reste la capacité de la nation à panser ses plaies, à rendre justice aux victimes et à inscrire la mémoire collective au cœur d’un avenir partagé. À l’été 2025, les acteurs politiques, religieux et associatifs relancent un débat crucial : comment construire une vraie justice transitionnelle ? Sur quelles bases restaurer la confiance entre citoyens jadis ennemis, alors que de nouvelles tensions électorales émergent déjà ?
Justice transitionnelle, attentes et frustrations
Le processus de justice transitionnelle, promu par la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR) dès 2012, s’est heurté à des résistances politiques et à la difficulté d’identifier les responsabilités. À ce jour, si certains exilés ont pu rentrer, la majorité des procédures judiciaires patinent ou manquent de transparence. Les victimes – civils tués, femmes violentées, personnes déplacées – réclament encore reconnaissance et réparation. La lenteur des procès, les peines jugées symboliques et la persistance de discours clivants affaiblissent la crédibilité du processus.
Pour les nouvelles générations peu impliquées dans les conflits, le risque demeure d’un oubli de la mémoire nationale alors même que la prévention des replis identitaires nécessite une pédagogie constante sur les erreurs du passé.
Dialogue politique : avancées et blocages
Les sommets entre l’actuel président Alassane Ouattara, l’ex-chef rebelle Guillaume Soro (depuis l’étranger) et l’ancien président Laurent Gbagbo ont été salués comme des gestes forts mais, dans les faits, la défiance entre les principaux camps reste vivace. L’intégration de toutes les forces politiques demeure partielle : certains groupes s’estiment exclus, notamment des partisans de l’ancienne opposition et de la société civile.
Le gouvernement encourage la création de « cellules de cohésion sociale », dotées d’un mandat d’écoute et de médiation. Cependant, la résolution des litiges fonciers, la redistribution des terres et l’accès aux droits civiques font toujours l’objet de tensions particulièrement dans les zones rurales, points névralgiques de la crise.
Mémoire collective et défis de transmission
Pour éviter le cycle de vengeance, plusieurs ONG ivoiriennes militent en faveur d’un « devoir de mémoire » : musées, journées de commémoration, programmes éducatifs en milieu scolaire sont déployés avec le soutien de l’UNESCO. Les initiatives théâtrales et artistiques qui évoquent les traumatismes de la guerre séduisent une jeunesse en quête d’identité nationale.
La télévision nationale multiplie les documentaires sur les années noires de la Côte d’Ivoire, tandis que des plateformes numériques recueillent les témoignages anonymes de victimes et de repentis. Ces efforts rencontrent un succès inégal mais constituent un pas essentiel pour une société meilleure informée et résiliente.

Enjeux régionaux et regard international
L’expérience ivoirienne est scrutée au plan africain par les pays ayant connu des crises analogues (Burkina Faso, Mali, RDC), qui cherchent dans les succès et les échecs ivoiriens un modèle ou un contre-exemple. Les partenaires internationaux, notamment l’ONU et la CEDEAO, continuent à soutenir la justice transitionnelle par une assistance technique et un accompagnement juridique.
La crédibilité de la Côte d’Ivoire en dépend, alors que le pays souhaite attirer davantage d’investissements, d’accords commerciaux et de financements multilatéraux conditionnés à la stabilité sociale durable.
Perspectives et conditions d’une réussite
Pour réussir la réconciliation, une accélération des procédures judiciaires, une plus grande inclusion des associations de victimes et une réforme du code foncier apparaissent incontournables en 2025. Le renouvellement des générations politiques, l’émergence d’une société civile dynamique et l’engagement concret de la jeunesse seront les garants du passage de la parole aux actes.
La Côte d’Ivoire peut devenir un laboratoire de la paix en Afrique de l’Ouest, à condition de conjuguer justice, dialogue et mémoire active.