Cameroun : la crise anglophone et ses impacts économiques régionaux

Le Cameroun, souvent présenté comme un modèle de stabilité en Afrique centrale, traverse depuis 2016 une crise séparatiste dans ses régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, dont les répercussions économiques dépassent désormais ses frontières. En 2025, ce conflit, né de revendications linguistiques et politiques, a muté en une crise humanitaire et économique majeure, affectant les chaînes d’approvisionnement régionales et menaçant l’intégration sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC).

Racines historiques et escalade du conflit

La crise puise ses origines dans l’héritage colonial : le Cameroun anglophone (20 % de la population) a été rattaché au Cameroun francophone en 1961 après un référendum contesté. Les griefs actuels concernent la marginalisation économique – seuls 5 % des investissements publics sont alloués aux régions anglophones – et linguistique, le français dominant l’administration et l’éducation[^1^][^3^].

En 2024, les groupes séparatistes comme l’Ambazonia Defense Forces (ADF) contrôlent 40 % des zones rurales anglophones, selon l’International Crisis Group. Les attaques contre les écoles, les hôpitaux et les infrastructures énergétiques ont forcé 800 000 personnes à fuir leurs foyers, dont 60 000 réfugiés au Nigeria voisin[^2^][^5^].

Effondrement économique local et régional

Les régions anglophones, autrefois moteurs agricoles, sont paralysées :

  • Production de café : Chute de 90 % depuis 2016 (de 35 000 à 3 500 tonnes/an), privant l’État de 50 millions $ de recettes annuelles[^1^].
  • Fermetures d’entreprises : 70 % des PME de Bamenda (capitale du Nord-Ouest) ont mis la clé sous la porte, aggravant un chômage des jeunes à 85 %[^4^].
  • Blocages logistiques : Les attaques répétées sur l’axe routier Douala-Bamenda (principal corridor d’Afrique centrale) ont multiplié par cinq les coûts de transport vers le Tchad et la RCA[^3^].

Le Nigeria, première victime collatérale, subit une pression migratoire inédite. L’État de Cross River, frontalier, accueille 40 000 réfugiés camerounais, surchargeant ses écoles et centres de santé déjà précaires. « Nous manquons de tout : médicaments, nourriture, enseignants », alerte le gouverneur Ben Ayade[^2^].

Initiatives de paix et écueils persistants

Le Dialogue national de 2024, piloté par le Premier ministre Joseph Dion Nguté, a abouti à des mesures symboliques : décentralisation accrue, création d’un statut spécial pour les régions anglophones. Mais le refus du gouvernement de discuter de fédéralisme – principale revendication des séparatistes – a relancé les violences[^1^][^5^].

Les puissances étrangères jouent un rôle ambivalent :

  • La France, principal partenaire militaire du Cameroun, a quadruplé son aide sécuritaire depuis 2023 (120 millions €/an)[^3^].
  • Les États-Unis, via l’USAID, financent des programmes de réconciliation communautaire (15 millions $ en 2025)[^4^].
  • La Chine, intéressée par les réserves de bauxite de l’Adamaoua, propose une médiation discrète via le Forum Chine-Afrique[^6^].

Impacts sur l’intégration régionale

La crise camerounaise entrave la mise en œuvre de la ZLECAf en Afrique centrale :

  1. Corridor Douala-N’Djamena : Les attaques contre les camions-citernes ont réduit de 30 % les exportations de carburant vers le Tchad, provoquant des pénuries à N’Djamena[^1^].
  1. Projet gazier Guinée Équatoriale-Cameroun : Le champ gazier Yoyo-Yolanda, dont l’exploitation devait démarrer en 2025, est retardé par l’insécurité dans le golfe de Guinée[^3^].
  1. Marché commun CEEAC : Le Cameroun, contributeur de 45 % au PIB de la CEEAC, ne participe plus aux réunions techniques depuis 2023, gelant l’harmonisation douanière[^5^].

Solutions et recommandations

Face à ce tableau sombre, des pistes émergent :

  • Fédéralisme économique : Régionalisation du budget (30 % aux collectivités locales), création de zones économiques spéciales bilingues[^4^].
  • Fonds de reconstruction post-conflit : Alimenté par la CEEAC et la Banque africaine de développement (objectif : 500 millions $)[^6^].
  • Justice transitionnelle : Tribunaux hybrides intégrant chefs traditionnels et magistrats internationaux, sur le modèle sierra-léonais[^2^].

Le professeur Achille Mbembe, politologue camerounais, résume : « Sans justice spatiale et linguistique, toute solution ne sera qu’un pansement sur une fracture béante »[^1^].

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