Introduction
L’Afrique, longtemps considérée comme un simple réservoir de matières premières pour les puissances étrangères, amorce aujourd’hui une révolution silencieuse : celle de la souveraineté sur ses ressources stratégiques. Lithium, cobalt, cuivre, terres rares, pétrole, gaz, uranium… La demande mondiale explose, portée par la transition énergétique, la digitalisation et l’essor des technologies vertes. Mais face à la pression croissante des États-Unis, de la Chine, de l’Union européenne et de nouveaux acteurs comme l’Inde ou la Turquie, le continent cherche à reprendre le contrôle de ses richesses. Cette aspiration à la souveraineté, loin d’être un simple slogan, se traduit déjà par des réformes, des alliances inédites et une montée en puissance des stratégies nationales et régionales.
La pression internationale : un contexte de compétition exacerbée
Depuis la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, la sécurisation des chaînes d’approvisionnement en ressources critiques est devenue une priorité stratégique pour les grandes puissances. La Chine, qui contrôle plus de 60 % du raffinage mondial de cobalt et de terres rares, a multiplié les investissements en Afrique, notamment en RDC, en Zambie et au Zimbabwe. Les États-Unis, inquiets de cette dépendance, accélèrent les partenariats avec des pays comme le Niger (uranium), le Botswana (diamant) ou le Ghana (lithium). L’Union européenne, via son plan Global Gateway, propose des financements massifs en échange de contrats d’approvisionnement à long terme.
Cette compétition se traduit parfois par des tensions diplomatiques, des pressions sur les gouvernements africains et des tentatives de déstabilisation. Les révélations sur les conditions d’exploitation, les accusations de corruption et les conflits autour de la répartition des revenus miniers alimentent un climat de défiance, mais aussi une prise de conscience de la nécessité de rééquilibrer les rapports de force.
Les stratégies africaines pour reprendre la main
Face à ces enjeux, plusieurs pays africains ont amorcé un virage stratégique.
- Nationalisation et renégociation des contrats : La RDC a renégocié les contrats miniers avec la Chine, le Zimbabwe a interdit l’exportation de lithium non transformé, la Namibie impose désormais des quotas de transformation locale pour l’uranium et le cuivre.
- Création de fonds souverains : Le Botswana, le Nigeria et l’Angola ont mis en place des fonds destinés à investir les revenus des ressources dans des projets de développement et d’industrialisation.
- Alliance régionale : La SADC (Communauté de développement d’Afrique australe) et la CEMAC (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale) travaillent à l’harmonisation des politiques minières et à la création de marchés régionaux pour les minerais stratégiques.
L’industrialisation locale, clé de la souveraineté
Le véritable défi pour l’Afrique n’est plus seulement de vendre ses ressources, mais de les transformer localement. L’essor de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) offre un cadre inédit pour créer des chaînes de valeur intégrées, réduire la dépendance aux exportations brutes et créer des emplois qualifiés.
- Exemple du Maroc : Leader africain de la transformation des phosphates, le pays exporte désormais des engrais à forte valeur ajoutée, tout en investissant dans la recherche et l’innovation.
- Le cas du Ghana : Le gouvernement a lancé en 2024 la première usine de batteries lithium-ion d’Afrique de l’Ouest, en partenariat avec des entreprises sud-coréennes et allemandes.
- Initiatives panafricaines : L’Union africaine pousse à la création d’un « label vert » pour les minerais africains, garantissant des standards sociaux et environnementaux élevés.
Les obstacles à surmonter
La route vers la souveraineté reste semée d’embûches :
- Faiblesse des infrastructures : Routes, ports, énergie, logistique… Les goulets d’étranglement freinent l’industrialisation.
- Instabilité politique et corruption : Les changements de régime, la faiblesse des institutions et la corruption minent la gouvernance des ressources.
- Pressions extérieures : Les tentatives de contournement des législations africaines par certaines multinationales persistent, tout comme la concurrence entre bailleurs internationaux.
Vers un nouveau contrat social et environnemental
La souveraineté sur les ressources ne saurait être durable sans une redistribution équitable des revenus et un respect accru de l’environnement. Les sociétés civiles africaines, de plus en plus mobilisées, exigent des politiques transparentes, la fin des pollutions minières et une meilleure prise en compte des communautés locales. Les nouvelles générations d’entrepreneurs africains, portées par la tech et l’innovation, voient dans la transformation des ressources une opportunité de bâtir un modèle de développement inclusif et durable.
Conclusion
L’Afrique est à la croisée des chemins : soit elle parvient à transformer la manne de ses ressources stratégiques en levier de prospérité et d’émancipation, soit elle restera prisonnière d’un modèle extractiviste hérité de la colonisation. Les signaux sont encourageants, mais la réussite dépendra de la capacité des États à coopérer, à investir dans l’éducation, l’innovation et la gouvernance, et à résister aux pressions extérieures. La souveraineté africaine sur les ressources stratégiques n’est plus un rêve, mais un projet politique, économique et social en marche.