Introduction
Le 30 mai 2025, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) a franchi une nouvelle étape avec la tenue à Accra d’un sommet consacré à la souveraineté alimentaire et à l’intégration des marchés agricoles. Trois ans après son lancement opérationnel, la ZLECAf s’impose comme le plus grand espace commercial du monde en nombre de pays membres, mais doit encore relever le défi de la transformation agricole, de la sécurité alimentaire et de la création de chaînes de valeur intra-africaines. Analyse des enjeux, des avancées, des obstacles et des perspectives d’une intégration économique qui ambitionne de nourrir durablement le continent.
La ZLECAf : un projet panafricain ambitieux
La ZLECAf, entrée en vigueur en janvier 2021, vise à créer un marché unique de 1,4 milliard de consommateurs, en supprimant progressivement les droits de douane et les barrières non tarifaires entre 54 États africains. Son objectif est de stimuler le commerce intra-africain, de diversifier les économies et de renforcer la résilience face aux chocs extérieurs.
L’agriculture, qui emploie plus de 60 % de la population active africaine et représente près de 25 % du PIB continental, est au cœur de cette stratégie. Pourtant, le commerce agricole intra-africain reste faible (moins de 20 % des échanges totaux), freiné par la fragmentation des marchés, les obstacles logistiques, les normes disparates et la faible transformation locale.
Souveraineté alimentaire : un enjeu vital
La crise du Covid-19, la guerre en Ukraine et les aléas climatiques ont mis en lumière la dépendance de l’Afrique aux importations alimentaires (blé, riz, maïs, huiles, engrais), exposant le continent à la volatilité des prix mondiaux et aux ruptures d’approvisionnement. Plus de 250 millions d’Africains souffrent d’insécurité alimentaire chronique, tandis que la population continue de croître rapidement.
La souveraineté alimentaire, définie comme la capacité à produire, transformer et consommer localement une part croissante de l’alimentation, est devenue une priorité stratégique pour les gouvernements, les organisations paysannes et les bailleurs de fonds.
Les avancées de la ZLECAf dans l’agriculture
- Harmonisation des normes : Des progrès ont été réalisés dans l’élaboration de standards communs pour les semences, les produits phytosanitaires, la sécurité sanitaire des aliments et l’étiquetage, facilitant la circulation des produits agricoles.
- Suppression des barrières tarifaires : Plusieurs pays ont commencé à réduire ou éliminer les droits de douane sur les produits agricoles, favorisant l’émergence de corridors commerciaux régionaux (Afrique de l’Ouest, Afrique de l’Est, Afrique australe).
- Projets pilotes : Des initiatives telles que le « corridor maïs » entre le Nigeria, le Bénin et le Ghana, ou le « corridor laitier » entre le Kenya, l’Ouganda et le Rwanda, montrent le potentiel de la coopération régionale.
- Plateformes numériques : Le développement de bourses agricoles, de plateformes de e-commerce et de solutions de traçabilité permet de connecter producteurs, transformateurs et consommateurs à l’échelle continentale.
Les obstacles persistants

Les enjeux de la souveraineté alimentaire
- Sécurité alimentaire et nutritionnelle : Améliorer la production locale, la diversification des cultures et l’accès aux marchés est essentiel pour réduire la faim, la malnutrition et la dépendance aux importations.
- Résilience climatique : L’agriculture africaine est particulièrement vulnérable aux sécheresses, inondations, invasions de ravageurs et dégradation des sols. L’intégration régionale doit s’accompagner d’investissements dans l’irrigation, la recherche variétale, l’agroécologie et la gestion durable des ressources.
- Autonomisation des femmes et des jeunes : Les femmes représentent la majorité de la main-d’œuvre agricole, mais disposent de moins de 15 % des terres et de 10 % du crédit. L’intégration des marchés doit s’appuyer sur leur inclusion et leur formation.
- Soutien aux filières stratégiques : Cacao, café, coton, fruits, légumes, élevage… La création de chaînes de valeur régionales, la certification et la promotion des produits africains sur les marchés mondiaux sont des leviers de croissance.
Témoignages et perspectives
- Producteurs : « Grâce à la ZLECAf, nous pouvons vendre notre maïs au Ghana sans payer de taxes, mais il faut encore améliorer les routes et les entrepôts », témoigne un agriculteur nigérian.
- Entreprises agroalimentaires : Les industriels saluent la baisse des droits de douane, mais demandent des mesures contre la contrefaçon, la concurrence déloyale et la multiplication des normes nationales.
- Société civile : Les ONG appellent à une agriculture plus durable, respectueuse de l’environnement et des droits des communautés, et à la protection contre l’accaparement des terres.
Les perspectives pour la ZLECAf
Le sommet d’Accra a abouti à l’adoption d’un plan d’action pour la souveraineté alimentaire, incluant :
- Un fonds d’investissement pour les infrastructures agricoles régionales.
- La création d’un observatoire continental des prix et des stocks.
- Des programmes de formation et d’innovation pour les jeunes et les femmes.
- L’engagement à renforcer la coopération Sud-Sud et à promouvoir les produits africains sur les marchés mondiaux.
La réussite de la ZLECAf dans le secteur agricole dépendra de la volonté politique, de la mobilisation des financements et de la capacité à associer tous les acteurs, des petits producteurs aux grandes entreprises.
Conclusion
La ZLECAf représente une opportunité historique pour bâtir la souveraineté alimentaire de l’Afrique et intégrer les marchés agricoles. Si les défis restent immenses, l’ambition d’un marché commun, résilient et inclusif, peut transformer le continent en grenier et en moteur de croissance pour le XXIe siècle.