La question, provocatrice et absurde en apparence, circule pourtant dans certains débats géopolitiques et sur les réseaux sociaux : une Afrique enfin souveraine, dynamique et prospère serait-elle une menace pour l’Europe occidentale ? Faut-il craindre le réveil du continent africain, ou au contraire s’en réjouir comme d’une chance historique pour la stabilité et la prospérité mondiales ? Plutôt que de céder à la caricature, il est urgent de déconstruire cette problématique à la lumière des réalités économiques, stratégiques et humaines de 2025.
L’Afrique, un partenaire incontournable dans la mondialisation
L’Afrique n’est plus le « continent de la misère » ou de la dépendance. En 2025, elle affiche une croissance économique supérieure à la moyenne mondiale, portée par une jeunesse nombreuse, une urbanisation rapide et une diversification progressive de ses économies5. Les projections du FMI et de la Banque mondiale tablent sur une croissance de 4,2 % pour l’Afrique subsaharienne cette année, loin devant l’Europe, et certains pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Est dépassent même les 6 %5. Cette dynamique s’accompagne d’une montée en puissance sur la scène internationale : l’Afrique n’est plus un simple réservoir de matières premières, mais devient un acteur central dans les chaînes de valeur mondiales, l’innovation technologique et la transition énergétique.
L’Europe, de son côté, fait face à des défis démographiques, industriels et géopolitiques majeurs. L’avenir de sa propre prospérité dépendra largement de sa capacité à tisser des partenariats solides et équitables avec l’Afrique, notamment dans les domaines de l’énergie, de la sécurité, de la formation et de l’innovation6. La réalité, c’est que l’Europe et l’Afrique ont besoin l’une de l’autre pour rester maîtresses de leur destin dans un monde multipolaire3.
Une relation historique à réinventer, pas à opposer
L’idée d’une Afrique « ennemie » de l’Europe relève d’un imaginaire hérité de l’époque coloniale et de la rivalité pour l’accès aux ressources. Or, l’heure est à la co-construction d’un nouveau modèle de partenariat, fondé sur la souveraineté, la réciprocité et l’intérêt commun12. Les sommets récents entre l’Union européenne et l’Union africaine, ou entre l’UE et l’Afrique du Sud, illustrent la volonté des deux continents de renforcer leur coopération sur des enjeux stratégiques : sécurité, transition énergétique, développement durable, commerce, innovation4.
Le président kenyan William Ruto l’a résumé lors de sa visite à Washington : « L’Afrique ne doit regarder ni à l’Ouest, ni à l’Est, mais devant »3. Ce positionnement traduit la maturité d’un continent qui entend choisir ses partenaires, défendre ses intérêts et jouer à armes égales dans la mondialisation. L’Europe, loin d’être menacée, a tout à gagner à accompagner cette montée en puissance, à condition de dépasser la logique de l’aide et du contrôle pour entrer dans celle de l’investissement, du transfert de technologie et de la coopération industrielle6.

L’absurdité d’une rivalité : intérêts croisés et défis communs
Imaginer une Afrique prospère comme une menace pour l’Europe, c’est ignorer la réalité des intérêts croisés. L’Europe dépend de l’Afrique pour ses matières premières critiques, sa sécurité énergétique, la stabilité de ses frontières et la gestion des flux migratoires. L’Afrique, de son côté, a besoin de l’Europe pour l’accès aux marchés, la formation de sa jeunesse, l’investissement dans les infrastructures et le soutien à la bonne gouvernance6.
Les défis sont communs : changement climatique, sécurité alimentaire, lutte contre le terrorisme, innovation numérique. Les solutions ne peuvent être que partagées. L’Europe a tout intérêt à soutenir l’essor d’une classe moyenne africaine, à favoriser l’intégration régionale (Zlecaf), à investir dans l’éducation et la santé, à promouvoir des partenariats industriels gagnant-gagnant56. Refuser cette dynamique, c’est s’exposer à l’isolement, à la perte d’influence et à l’aggravation des crises migratoires et sécuritaires.
L’Europe a-t-elle peur de l’émancipation africaine ?
Certains milieux politiques et économiques européens, inquiets de la concurrence ou nostalgiques d’une certaine tutelle, voient d’un mauvais œil l’affirmation de la souveraineté africaine. Mais cette peur est contre-productive et anachronique. L’histoire montre que les relations fondées sur la domination et la défiance sont vouées à l’échec. Au contraire, une Afrique libre, prospère et stable est la meilleure garantie d’un voisinage pacifique, d’opportunités économiques partagées et de solutions aux défis globaux.
Pour une alliance stratégique et audacieuse
L’avenir de l’Europe, et en particulier sa défense, dépendra très largement de ses relations avec l’Afrique6. Il est temps d’oser une politique audacieuse : offrir à l’Afrique un cadre commercial plus juste, soutenir l’industrialisation, investir dans l’éducation et la santé, développer ensemble les infrastructures et les chaînes de valeur, promouvoir la mobilité des talents et la coopération technologique6. Ce que cela coûtera en efforts sera vite remboursé par les échanges, la stabilité et la prospérité partagée.
Conclusion : L’Afrique, chance ou menace ? Un faux débat
La question de savoir si une Afrique libre et prospère est l’ennemie de l’Europe occidentale est non seulement absurde, mais dangereuse. Elle détourne l’attention des véritables enjeux : la nécessité d’un partenariat stratégique, équitable et visionnaire entre deux continents liés par l’histoire, la géographie et les intérêts communs. L’Europe doit voir dans l’émancipation africaine non une menace, mais une chance unique de bâtir un avenir commun dans un monde en mutation.