Introduction
Le Burkina Faso, plongé dans une insécurité chronique depuis près d’une décennie, vit une séquence politique inédite. Au lendemain d’une tentative de coup d’État déjouée, une vaste mobilisation populaire s’est organisée à Ouagadougou en soutien au capitaine Ibrahim Traoré, chef de la junte au pouvoir depuis septembre 2022. Dans le même temps, la transition militaire a été officiellement prolongée de cinq années supplémentaires, selon la nouvelle charte adoptée lors des assises nationales du 25 mai 2025. Cette double actualité pose la question de la légitimité du pouvoir, de la place du peuple dans le processus politique et de l’avenir démocratique du Burkina Faso.
Une mobilisation populaire orchestrée
Le 30 avril 2025, la Coordination nationale de la veille citoyenne (CNAVC), regroupement d’organisations de la société civile pro-régime, a appelé à une marche de soutien à Ibrahim Traoré sur la place de la Révolution à Ouagadougou. Cette démonstration de force intervient quelques jours après l’arrestation d’une dizaine d’officiers et sous-officiers soupçonnés d’avoir fomenté un coup d’État, dont les cerveaux seraient en Côte d’Ivoire selon les autorités burkinabè4.
Les slogans scandés lors de la marche – « Le Burkina Faso n’est plus un État vassal », « Soutien total au capitaine Traoré » – témoignent d’une volonté de rupture avec le passé et d’un désir d’affirmation de la souveraineté nationale. Pour la CNAVC, « les menaces ne passent plus. Pour atteindre le président Ibrahim Traoré, il faut d’abord marcher sur le peuple burkinabè »4.
Le contexte d’une transition militaire prolongée
Le 25 mai 2025, les assises nationales ont entériné la prolongation de la transition militaire pour une durée de 60 mois à compter du 2 juillet 2024, soit jusqu’en 20295. Cette décision fait suite à l’incapacité affichée par la junte d’organiser des élections dans un contexte sécuritaire extrêmement précaire.
La nouvelle charte supprime les quotas alloués aux partis politiques pour les postes de députés de l’Assemblée législative de transition, érige le « patriotisme » en critère d’appartenance au gouvernement et à l’assemblée, et permet au capitaine Traoré de se présenter aux futures élections présidentielles, législatives et municipales qui mettront fin à la transition.

Un régime militaire sous pression
Depuis son arrivée au pouvoir, Ibrahim Traoré bénéficie d’un soutien populaire réel, nourri par la lassitude face à l’insécurité et à la corruption des élites précédentes7. Sa posture souverainiste, sa rhétorique anti-impérialiste et sa volonté affichée de rompre avec les anciennes pratiques politiques séduisent une partie de la jeunesse et des couches populaires.
Cependant, ce soutien s’explique aussi par une stratégie de communication efficace et la répression des voix dissidentes. Les partis politiques traditionnels ont boycotté les assises nationales, dénonçant une confiscation du pouvoir et l’absence de débat démocratique5.
Les défis sécuritaires et économiques
Le Burkina Faso reste confronté à une crise sécuritaire majeure, marquée par des attaques djihadistes récurrentes, des milliers de morts et des millions de déplacés internes. Le régime militaire justifie la prolongation de la transition par la nécessité de restaurer la sécurité avant toute consultation électorale.
Sur le plan économique, la mobilisation des ressources internes s’accroît3, mais la situation sociale demeure tendue, avec une inflation élevée, un chômage massif et une pauvreté persistante.
Les risques pour la démocratie
La prolongation de la transition militaire et la marginalisation des partis politiques font craindre une dérive autoritaire. La suppression des quotas pour les partis à l’Assemblée de transition et la primauté donnée au « patriotisme » risquent de verrouiller l’espace politique et d’étouffer le pluralisme5.
La société civile, bien que mobilisée, est divisée entre soutien au régime et inquiétude pour les libertés publiques. Les partenaires internationaux, quant à eux, restent prudents, oscillant entre soutien sécuritaire et appels au respect des engagements démocratiques.
Conclusion
La mobilisation populaire en faveur d’Ibrahim Traoré et la prolongation de la transition militaire illustrent la complexité de la situation burkinabè : entre désir de souveraineté, quête de sécurité et fragilisation de la démocratie. L’avenir du Burkina Faso dépendra de la capacité du régime à restaurer la paix, à ouvrir le dialogue politique et à préparer un retour crédible à l’ordre constitutionnel.