Le Soudan traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire récente. Alors que le conflit entre l’armée régulière, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti », se poursuit sans relâche, l’armée soudanaise vient de nommer un nouveau Premier ministre par intérim, le Dr Ibrahim Elbadawi. Cette décision, annoncée le 30 avril 2025, vise à donner un nouveau souffle à la transition politique, mais suscite de nombreuses interrogations quant à sa légitimité et à son efficacité réelle.
Ibrahim Elbadawi, économiste de renom et ancien ministre des Finances du gouvernement de transition post-Béchir, est perçu comme un technocrate compétent, capable de dialoguer avec les institutions financières internationales. Son retour sur la scène politique intervient dans un contexte de crise humanitaire aiguë : plus de 25 000 morts, près de 9 millions de déplacés internes et externes, une économie en ruine et des infrastructures sanitaires dévastées.
La nomination d’Elbadawi s’inscrit dans une stratégie de l’armée visant à restaurer une certaine légitimité civile, alors que la pression internationale s’intensifie pour un retour à un gouvernement de transition inclusif. L’Union africaine, l’ONU et plusieurs chancelleries occidentales ont appelé à un dialogue national impliquant toutes les forces vives du pays, condition sine qua non pour une sortie de crise durable.
Les Forces pour la liberté et le changement (FLC), qui avaient joué un rôle central dans la révolution de 2019, rejettent cette nomination, la qualifiant de « mascarade » destinée à prolonger la mainmise de l’armée sur le pouvoir. De leur côté, les FSR dénoncent une « manœuvre dilatoire » et réaffirment leur détermination à poursuivre le combat jusqu’à l’instauration d’un véritable pouvoir civil.

Sur le terrain, la situation humanitaire est catastrophique. Les organisations internationales alertent sur le risque de famine dans plusieurs régions, notamment au Darfour et au Kordofan. Les épidémies de choléra et de rougeole se propagent dans les camps de déplacés, où l’accès à l’eau potable et aux soins de santé est extrêmement limité. Le Programme alimentaire mondial estime que plus de 18 millions de Soudanais sont en situation d’insécurité alimentaire aiguë.
Au plan économique, le Soudan est au bord de l’effondrement. L’inflation galopante, la chute de la livre soudanaise et l’arrêt quasi total des exportations de pétrole compromettent toute perspective de redressement à court terme. Ibrahim Elbadawi devra faire preuve d’un leadership exceptionnel pour restaurer la confiance des bailleurs de fonds et relancer l’économie.
La dimension régionale du conflit complique davantage la donne. L’Égypte et les Émirats arabes unis soutiennent ouvertement l’armée soudanaise, tandis que les FSR bénéficient de l’appui de réseaux russes et, dans une moindre mesure, de certains pays du Golfe. Ce jeu d’influences multiples rend toute médiation particulièrement délicate.
La population soudanaise, épuisée par des années de guerre et de privations, attend des actes concrets. Les appels à un cessez-le-feu immédiat, à l’ouverture de corridors humanitaires et à la reprise du dialogue national se multiplient. Les prochaines semaines seront décisives pour évaluer la capacité du nouveau Premier ministre à impulser une dynamique de paix et de reconstruction.

La communauté internationale, tout en saluant la nomination d’Elbadawi, reste prudente et exige des garanties quant à l’inclusivité du processus politique. Les États-Unis, l’Union européenne et l’Union africaine ont conditionné leur soutien à des avancées tangibles sur le terrain, notamment en matière de respect des droits humains et de protection des civils.
Le Soudan se trouve à la croisée des chemins. La réussite ou l’échec de cette nouvelle tentative de transition dépendra de la volonté des acteurs nationaux et internationaux à privilégier l’intérêt général sur les logiques de pouvoir. L’histoire récente du pays montre que seule une solution politique inclusive, respectueuse de la diversité soudanaise, pourra garantir une paix durable.