Introduction : L’Afrique, nouveau terrain diplomatique dans la crise moyen-orientale
Le conflit entre Israël et l’Iran, sur fond de guerre à Gaza et de tensions régionales croissantes, a des répercussions bien au-delà du Moyen-Orient. L’Afrique, longtemps considérée comme périphérique dans les affaires du Proche-Orient, occupe aujourd’hui une place stratégique dans le jeu diplomatique, économique et sécuritaire. Les États africains, confrontés à la nécessité de défendre leurs intérêts nationaux, de préserver la stabilité régionale et de gérer des relations complexes avec les grandes puissances, sont appelés à définir une position claire et cohérente face à la crise. Parallèlement, la présence d’Israël sur le continent, entre coopération, rivalités et enjeux de sécurité, suscite débats et interrogations.
1. L’Afrique et le Moyen-Orient : des liens historiques, économiques et religieux
a) Héritage colonial et solidarité sud-sud
Les relations entre l’Afrique et le Moyen-Orient s’enracinent dans une histoire commune : échanges commerciaux séculaires, héritage de la traite arabe, influences culturelles et religieuses. Après les indépendances, la solidarité sud-sud s’est exprimée à travers le soutien africain à la cause palestinienne, la participation à l’Organisation de la coopération islamique (OCI) et la dénonciation du colonialisme sous toutes ses formes.
b) Poids des diasporas et des communautés religieuses
L’Afrique abrite d’importantes communautés musulmanes, notamment en Afrique du Nord, au Sahel, dans la Corne et en Afrique de l’Ouest. Ces populations, souvent mobilisées lors des crises au Moyen-Orient, influencent les opinions publiques et les positions officielles de leurs gouvernements. Les diasporas juives et chrétiennes, bien que moins nombreuses, jouent également un rôle dans la diplomatie africaine.
c) Intérêts économiques et énergétiques
Le Moyen-Orient est un partenaire commercial majeur pour l’Afrique : importation de pétrole, investissements dans les infrastructures, transferts de fonds des diasporas. Les pays du Golfe financent de grands projets agricoles, énergétiques et immobiliers, tandis que l’Afrique exporte des produits agricoles, du bétail et des matières premières vers la région.
2. La diplomatie africaine face au conflit Israël-Iran : entre prudence, solidarité et realpolitik
a) Une position officielle de neutralité active
La majorité des États africains adoptent une position de neutralité, appelant au dialogue, à la désescalade et au respect du droit international. L’Union africaine (UA), dans ses communiqués, condamne les violences, appelle à la protection des civils et soutient les résolutions de l’ONU sur la Palestine. Mais derrière cette façade consensuelle, les positions varient selon les intérêts nationaux, les alliances régionales et les pressions internationales.
b) Solidarité avec la Palestine et prudence vis-à-vis d’Israël
Historiquement, la cause palestinienne bénéficie d’un large soutien en Afrique, notamment au sein des pays à majorité musulmane et des mouvements panafricains. Plusieurs États, comme l’Algérie, l’Afrique du Sud ou le Nigeria, réaffirment régulièrement leur solidarité avec le peuple palestinien, dénoncent l’occupation et appellent à la création d’un État palestinien viable.

Cependant, la realpolitik s’impose : de nombreux pays africains entretiennent désormais des relations diplomatiques, économiques ou sécuritaires avec Israël, tout en maintenant leur soutien officiel à la Palestine. Cette double posture reflète la volonté de préserver les intérêts nationaux sans s’aliéner ni les partenaires occidentaux, ni les pays du Golfe, ni les opinions publiques locales.
c) Le jeu des grandes puissances et la pression internationale
La crise au Moyen-Orient place l’Afrique au cœur d’une compétition diplomatique entre les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Union européenne et les puissances régionales (Arabie saoudite, Iran, Turquie, Israël). Les États africains sont sollicités pour prendre position, participer à des coalitions ou offrir leur médiation. Certains pays, comme l’Égypte, l’Éthiopie ou le Maroc, cherchent à jouer un rôle de médiateur, tandis que d’autres privilégient la discrétion.
3. Israël en Afrique : une présence croissante, entre coopération et rivalités
a) Le retour d’Israël sur le continent noir
Après des décennies d’isolement diplomatique, Israël a opéré depuis les années 2000 un retour stratégique en Afrique. Aujourd’hui, plus de 40 pays africains entretiennent des relations officielles avec l’État hébreu, contre une poignée dans les années 1980. Cette normalisation s’est accélérée avec les accords d’Abraham et la volonté d’Israël de diversifier ses partenariats.
b) Coopération économique, technologique et sécuritaire
Israël mise sur ses atouts technologiques pour séduire l’Afrique : irrigation goutte-à-goutte, agriculture de précision, dessalement de l’eau, cybersécurité, santé, énergie solaire. Des projets phares ont vu le jour au Kenya, au Ghana, au Rwanda, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Sur le plan sécuritaire, Israël fournit du matériel militaire, forme des forces spéciales et partage son expertise en matière de lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité.
c) Rivalités et limites de l’influence israélienne
La présence d’Israël en Afrique suscite des résistances. Certains pays, comme l’Afrique du Sud, l’Algérie ou la Tunisie, refusent toute normalisation tant que la question palestinienne n’est pas résolue. L’influence iranienne, turque ou qatarie contrebalance celle d’Israël, notamment dans les pays à majorité musulmane. Les opinions publiques africaines, sensibles aux images de la guerre à Gaza, peuvent contraindre les gouvernements à limiter leur coopération avec Israël.
4. Les stratégies africaines face au conflit : entre diversification, médiation et souveraineté
a) Diversifier les partenariats pour maximiser les bénéfices
La plupart des États africains cherchent à tirer parti de la rivalité entre Israël, les pays arabes et l’Iran pour obtenir des investissements, des transferts de technologies et des aides au développement. Cette stratégie de diversification permet d’éviter la dépendance à un seul partenaire et de renforcer la marge de manœuvre diplomatique.
b) Jouer la carte de la médiation et de la neutralité constructive
Certains pays africains, forts de leur expérience en matière de résolution de conflits, proposent leurs bons offices pour faciliter le dialogue entre les parties. L’Égypte, acteur clé dans le dossier palestinien, mais aussi l’Éthiopie, le Sénégal ou le Maroc, se positionnent comme médiateurs potentiels, mettant en avant leur crédibilité auprès des différentes parties.

c) Défendre la souveraineté et les intérêts nationaux
Face aux pressions extérieures, les États africains insistent sur le respect de leur souveraineté et de leur droit à définir leur politique étrangère en fonction de leurs intérêts propres. Cette posture, défendue au sein de l’Union africaine, vise à éviter l’instrumentalisation du continent dans les rivalités moyen-orientales.
5. Les impacts du conflit sur l’Afrique : économie, sécurité, opinion publique
a) Hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires
Le conflit entre Israël et l’Iran, en perturbant le trafic maritime et les exportations de pétrole, a des répercussions immédiates sur les économies africaines. La hausse des prix du carburant, des engrais et des denrées alimentaires fragilise les budgets des États et le pouvoir d’achat des populations, déjà éprouvées par l’inflation post-pandémie.
b) Risques sécuritaires et radicalisation
La montée des tensions au Moyen-Orient alimente la propagande des groupes jihadistes actifs au Sahel, dans le bassin du lac Tchad ou en Afrique de l’Est. Les services de renseignement africains redoutent une recrudescence des attaques, une mobilisation accrue des jeunes radicalisés et une instrumentalisation des conflits religieux.
c) Mobilisation de la société civile et des opinions publiques
Les images de la guerre à Gaza, relayées par les réseaux sociaux, suscitent une forte émotion en Afrique. Des manifestations de solidarité avec la Palestine ont eu lieu dans plusieurs capitales, parfois accompagnées de tensions intercommunautaires. Les gouvernements doivent composer avec ces mobilisations tout en préservant leurs intérêts stratégiques.
6. Quelle place pour Israël dans l’avenir du continent africain ?
a) Un partenaire technologique et sécuritaire incontournable
Malgré les tensions, Israël est désormais un acteur clé de l’innovation, de la sécurité et du développement en Afrique. Sa capacité à répondre aux besoins du continent en matière d’agriculture, d’eau, d’énergie et de cybersécurité lui assure une place durable, à condition de respecter la sensibilité des opinions publiques.
b) Les limites d’une normalisation sans solution politique
L’influence d’Israël restera toutefois limitée tant que la question palestinienne ne sera pas résolue de manière juste et durable. Les États africains, soucieux de leur image et de leur stabilité interne, ne peuvent ignorer la voix de leurs citoyens et des mouvements panafricains.
c) Vers un nouveau multilatéralisme africain
L’Afrique, forte de sa jeunesse, de son poids démographique et de son potentiel économique, entend peser davantage dans les affaires du monde. Elle réclame une place à la table des négociations, que ce soit à l’ONU, au G20 ou dans les forums sur la paix au Moyen-Orient. Cette affirmation de souveraineté pourrait faire du continent un acteur de médiation et d’équilibre, capable de promouvoir une solution politique inclusive.
Conclusion : L’Afrique, entre prudence et affirmation
Face au conflit au Moyen-Orient, l’Afrique avance avec prudence, déterminée à défendre ses intérêts, sa stabilité et sa souveraineté. Si la coopération avec Israël s’intensifie dans de nombreux domaines, elle ne saurait se faire au détriment des principes de justice, de solidarité et de paix. Le continent, tiraillé entre pressions extérieures et aspirations internes, cherche à s’imposer comme un acteur diplomatique crédible, capable de contribuer à la résolution des crises régionales et à la construction d’un nouvel ordre international plus équilibré.