Introduction
Face à un contexte mondial en pleine recomposition géopolitique, la Turquie ambitionne de renforcer et de diversifier ses relations économiques avec le continent africain. Ce projet stratégique s’inscrit dans une volonté plus large d’Ankara de consolider sa présence internationale, de diversifier ses partenariats économiques et d’affirmer son influence dans des régions en croissance rapide comme l’Afrique. Ce dossier fait le point sur les dimensions économiques, politiques et stratégiques de cette politique turque dans le contexte actuel.
Contexte géopolitique et ambitions turques
La Turquie connaît une phase importante de repositionnement sur la scène internationale, cherchant à dépasser son rôle traditionnel centré sur l’Europe et le Moyen-Orient. Dans ce cadre, l’Afrique apparaît comme un territoire d’opportunités économiques et d’influence qui correspond bien à l’objectif d’une politique extérieure multi-vecteur.
Le continent africain, fort de sa démographie dynamique, de ses ressources abondantes et d’une croissance économique naturelle soutenue, constitue une zone d’intérêt prioritaire. Ankara vise à tisser des liens solides dans les secteurs du commerce, de l’énergie, des infrastructures, de la construction et des technologies.
Cette approche s’inscrit dans un contexte où plusieurs puissances mondiales, notamment la Chine, les États-Unis, la Russie et l’Union européenne, intensifient leur engagement en Afrique, rendant la compétition plus intense. La Turquie cherche à se positionner comme un partenaire alternatif, innovant et respectueux des intérêts des pays africains.
Relations économiques bilatérales : état des lieux
Les relations économiques entre la Turquie et l’Afrique ont connu une croissance notable ces dernières années, avec un volume d’échanges commerciaux multipliés par cinq depuis 2015. Le commerce bilatéral s’élève désormais à plus de 30 milliards de dollars, comprenant des produits manufacturés, agricoles et des biens de consommation.
Les investissements turcs se concentrent sur plusieurs secteurs clés : construction (routes, ponts, bâtiments publics), énergie (centrales électriques, projets d’énergies renouvelables), industrie manufacturière, et services (finance, tourisme). De grandes entreprises turques, notamment dans le BTP, ont remporté plusieurs contrats majeurs dans différents pays africains, tels que le Nigéria, le Kenya, l’Éthiopie et l’Afrique du Sud.
Le tissu touristique a également été favorisé, avec un afflux croissant de touristes africains vers la Turquie et le développement d’agences locales facilitant les échanges culturels. Dans le domaine technologique, Ankara développe des initiatives pour le transfert de compétences, la formation et l’adoption de solutions numériques destinées à soutenir l’innovation africaine.
Diplomatie économique et initiatives récentes
Sur le plan diplomatique, la Turquie multiplie les visites officielles, les sommets économiques et les accords bilatéraux avec les pays africains. En 2024 et 2025, plusieurs sommets Turquie-Afrique ont été organisés, réunissant chefs d’État, ministres et acteurs économiques pour définir des feuilles de route adaptées aux besoins mutuels.
Des accords de coopération économique et technique renforçant la collaboration dans l’agriculture, l’industrie, la gestion des ressources naturelles, les infrastructures et le commerce. Le développement des zones industrielles mixtes et des parcs technologiques, souvent dans des zones économiques spéciales, est encouragé pour stimuler les investissements directs étrangers.
Ankara applique également une politique d’aide au développement et de formation, notamment via la TIKA (Agence turque de coopération et de coordination), qui soutient des projets dans le domaine de l’éducation, de la santé et du renforcement des capacités.
Enjeux et défis rencontrés
Malgré ces avancées, plusieurs défis entravent le plein épanouissement des relations économiques turco-africaines. La diversité du continent africain, avec ses différences politiques, économiques et juridiques, complique la mise en œuvre uniforme des stratégies.
Les infrastructures souvent insuffisantes, la corruption et l’instabilité politique dans certaines régions freinent les investissements à long terme. Par ailleurs, la concurrence intense avec d’autres puissances déjà bien portées nécessite une différenciation claire de l’offre turque.
Les fluctuations monétaires, les barrières douanières, et les difficultés d’accès au financement restent aussi des obstacles importants pour les exportateurs et entreprises turques souhaitant s’implanter durablement.
Focus sur les secteurs prioritaires
- Construction et infrastructures : Le secteur de la construction est un pilier des relations, avec des projets d’importance nationale dans la construction de routes, ports, aéroports et infrastructures urbaines. Les entreprises turques sont appréciées pour leur savoir-faire, leur rapidité d’exécution et leurs coûts compétitifs.
- Énergie : La coopération dans les énergies renouvelables (solaire, éolienne, hydroélectrique) constitue un axe fort, contribuant à la diversification énergétique africaine, à la réduction de la dépendance aux énergies fossiles et à l’amélioration de l’accès à l’électricité.
- Technologie et numérique : Ankara soutient l’essor des startups africaines et favorise les échanges technologiques, dans des domaines tels que la finance numérique, la sécurité informatique et l’éducation numérique.
- Agriculture : La Turquie développe des programmes d’appui à l’agriculture durable, avec transfert de technologies, formation et développement des chaînes de valeur.
Perspectives et stratégies d’avenir
La Turquie ambitionne de porter son commerce bilatéral à 50 milliards de dollars d’ici 2030, avec un renforcement des investissements directs et une diversification des échanges vers des produits à forte valeur ajoutée. La diplomatie économique turque se projette dans une coopération plus équitable, adaptée aux spécificités locales, et fondée sur le respect mutuel.
Le développement de partenariats régionaux avec des organes comme l’Union africaine est également envisagé pour dynamiser une approche continentale coordonnée. La jeunesse africaine, très nombreuse et dynamique, est considérée comme un moteur clé pour ces futurs liens économiques, notamment à travers la formation et l’entrepreneuriat.
La Turquie investit également dans la culture et la diplomatie publique en Afrique, favorisant ainsi une meilleure compréhension mutuelle et renforçant les liens humains essentiels à la pérennité des relations économiques.
Conclusion
Face à l’évolution rapide des équilibres mondiaux, la Turquie a su identifier l’Afrique comme un partenaire stratégique pour diversifier ses relations économiques et accroître son influence régionale. Malgré les défis, la dynamique est positive, la portée par des secteurs clés et un engagement diplomatique renouvelé. Cette politique s’inscrit dans un contexte géopolitique où la concurrence est forte, mais où la coopération pragmatique peut créer de nouvelles opportunités économiques et sociales pour les deux partis.
Dans les années à venir, la Turquie et l’Afrique pourraient ainsi bâtir un partenariat exemplaire, fondé sur la complémentarité, la confiance et des bénéfices partagés, contribuant à un développement durable et inclusif des économies africaines tout en renforçant la position géopolitique turque à l’échelle internationale.