Introduction
La Tunisie, berceau du « Printemps arabe », a longtemps incarné l’espoir d’une transition démocratique réussie dans le monde arabe. Mais, quatorze ans après la révolution de 2011, le pays se retrouve à la croisée des chemins : entre aspirations démocratiques, tentations autoritaires, repli identitaire et ostracisme social. Jadis vitrine de la modernité maghrébine, la Tunisie vit aujourd’hui une période de doutes, de tensions et de mutations profondes. Comment vit-on en Tunisie en 2025 ? Quelles sont les fractures qui traversent la société ? Et quel avenir pour ce pays au destin singulier ?
1. Héritage de la révolution : entre espoir et désillusion
1.1. Un élan démocratique fragilisé
La révolution tunisienne de 2011, qui a renversé la dictature de Ben Ali, a ouvert une ère de libertés inédites : liberté d’expression, multipartisme, société civile dynamique, élections libres. Mais cet élan s’est progressivement essoufflé face à la montée des défis économiques, à l’instabilité politique et à la résurgence des tensions identitaires.
Depuis le coup de force institutionnel du président Kaïs Saïed en 2021 (gel du Parlement, dissolution du gouvernement, nouvelle Constitution), la Tunisie oscille entre démocratie fragile et dérive autoritaire. Les contre-pouvoirs sont affaiblis, la justice sous pression, et la société civile surveillée, voire ostracisée lorsqu’elle critique le pouvoir27.
1.2. La société civile sous tension
Les ONG, les syndicats et les médias indépendants, moteurs de la révolution, font face à une répression croissante. Les arrestations d’opposants, les procès pour « atteinte à la sûreté de l’État » ou « diffusion de fausses nouvelles » se multiplient. La liberté de la presse, jadis fierté nationale, est aujourd’hui menacée, et nombre de journalistes pratiquent l’autocensure.
2. Fractures sociales et repli identitaire
2.1. Un sentiment d’ostracisme croissant
La Tunisie de 2025 est traversée par un sentiment de marginalisation, tant sur le plan politique que social. Les jeunes, qui avaient porté la révolution, se sentent exclus du jeu politique et économique. Le chômage des diplômés dépasse 30 % dans certaines régions, et l’émigration clandestine vers l’Europe atteint des records67.
Les minorités (noirs tunisiens, amazighs, migrants subsahariens) subissent un ostracisme croissant, alimenté par des discours identitaires et xénophobes. Plusieurs affaires de violences racistes ont ému l’opinion, révélant la persistance de préjugés et la difficulté à construire une société inclusive.
2.2. Repli identitaire et crispation culturelle
Face à la crise, une partie de la société tunisienne se replie sur des marqueurs identitaires : religion, arabité, traditions. Ce repli se traduit par un regain de conservatisme, la montée des discours anti-occidentaux et la défiance envers les valeurs « importées » de la démocratie libérale. Les débats sur le port du voile, l’enseignement du français, ou la place des femmes dans l’espace public sont symptomatiques de cette crispation.
Le risque est celui d’une société fragmentée, où la méfiance l’emporte sur le dialogue, et où les élites urbaines et les régions intérieures vivent dans des mondes parallèles.
3. Une économie sous pression, entre stagnation et espoirs de réforme
3.1. Croissance fragile et précarité
Après une décennie de stagnation, l’économie tunisienne affiche une croissance modeste : 1,9 % attendue en 2025, portée par la reprise du tourisme, de l’agriculture et de l’exportation1568. Mais cette embellie reste fragile, menacée par l’inflation (5,5 à 7 %), la dette publique (près de 80 % du PIB) et un chômage structurel élevé (16 %)346.
La consommation privée est freinée par la baisse du pouvoir d’achat, la hausse des impôts et la faiblesse du dinar. Les investissements privés restent timides, en raison de l’instabilité politique, de la bureaucratie et d’un accès limité au crédit. L’investissement public, lui, est contraint par le poids de la dette et des subventions coûteuses34.
3.2. Inégalités régionales et sentiment d’abandon
La fracture entre la Tunisie « utile » (Tunis, Sfax, Sousse) et les régions intérieures (Kasserine, Gafsa, Tataouine) s’est aggravée. Les infrastructures, l’emploi et les services publics restent concentrés sur le littoral, tandis que l’intérieur du pays souffre de sous-investissement et de désertification démographique7. Les jeunes des régions pauvres, sans perspectives, sont tentés par l’exil ou la radicalisation.
3.3. Réformes et nouveaux espoirs
Face à l’urgence, le gouvernement tente d’attirer les investissements étrangers, notamment dans les énergies renouvelables, les transports et la gestion de l’eau3. Des accords ont été signés en 2025 pour des projets solaires majeurs, porteurs d’espoir pour la transition énergétique. Mais sans soutien du FMI, la marge de manœuvre budgétaire reste étroite et le risque de défaut de paiement élevé34.
4. Vivre en Tunisie aujourd’hui : entre résilience, désenchantement et créativité
4.1. Le quotidien sous tension
Pour la majorité des Tunisiens, la vie quotidienne est marquée par la précarité, la débrouille et l’incertitude. L’accès à l’emploi, au logement, à la santé et à l’éducation reste inégal. Les familles jonglent avec l’inflation, la pénurie de certains produits et l’insécurité sociale. Beaucoup expriment un sentiment d’abandon par l’État et une défiance croissante envers les institutions.
4.2. Résilience et créativité sociale
Malgré les difficultés, la société tunisienne fait preuve d’une résilience remarquable. Les solidarités familiales, les réseaux d’entraide, les initiatives citoyennes et la vitalité associative permettent de pallier les carences de l’État. Les jeunes, en particulier, innovent dans l’économie numérique, la culture, l’artisanat ou l’agriculture durable, créant des espaces de liberté et d’expression.
4.3. La jeunesse entre révolte et exil
La jeunesse tunisienne, moteur de la révolution, oscille aujourd’hui entre désenchantement, colère et désir d’ailleurs. Beaucoup rêvent d’émigrer, faute de perspectives, tandis qu’une minorité s’engage dans la société civile, l’entrepreneuriat ou le militantisme. Les réseaux sociaux sont devenus le principal espace de débat, de contestation et de mobilisation.
5. Où va la Tunisie ? Scénarios d’avenir
5.1. Vers une transition autoritaire ?
Le durcissement du régime, la restriction des libertés et la marginalisation des oppositions font craindre une dérive autoritaire. Si la société civile ne parvient pas à se mobiliser, la Tunisie pourrait glisser vers un modèle de « démocratie illibérale », où les élections existent sans réelle alternance ni pluralisme.
5.2. Un sursaut démocratique possible
La Tunisie a montré, à plusieurs reprises, sa capacité à rebondir et à inventer des solutions originales. Une mobilisation citoyenne, un dialogue national inclusif et des réformes structurelles pourraient relancer la dynamique démocratique et restaurer la confiance dans les institutions.
5.3. Risque de fragmentation et de repli
Si les fractures sociales, régionales et identitaires s’aggravent, le pays risque de se fragmenter, avec une élite urbaine mondialisée d’un côté, et des régions marginalisées, repliées sur elles-mêmes, de l’autre. Ce scénario serait synonyme de tensions, d’instabilité et d’appauvrissement.
Conclusion
La Tunisie de 2025 est à la croisée des chemins. Entre les espoirs de la révolution, la tentation du repli identitaire et la menace de l’ostracisme, le pays cherche sa voie. Les défis sont immenses : relancer l’économie, réduire les inégalités, préserver les libertés, réinventer le vivre-ensemble. Mais la vitalité de la société civile, la créativité de la jeunesse et la mémoire de la révolution restent des atouts majeurs pour éviter le pire et bâtir un avenir à la hauteur des promesses de 2011.