Téhéran exige des « garanties » américaines sur la levée des sanctions, accord possible ou nouveau bras de fer ?

La question nucléaire iranienne revient au premier plan de l’actualité internationale alors que, le 2 juin 2025, le gouvernement de Téhéran a publiquement exigé des « garanties » écrites et irrévocables de la part des États-Unis concernant la levée des sanctions économiques. Cette demande, formulée à la veille d’une nouvelle session de négociations à Vienne sous l’égide de l’AIEA, marque une nouvelle étape dans un bras de fer diplomatique qui dure depuis plus de deux décennies. Derrière le langage diplomatique, c’est l’avenir de la non-prolifération au Moyen-Orient et la stabilité régionale qui sont en jeu.

Un contexte de tensions persistantes

Depuis la dénonciation unilatérale de l’accord de Vienne (JCPOA) par l’administration Trump en 2018, l’Iran et les États-Unis n’ont cessé de s’affronter sur la question du nucléaire. Malgré l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche et l’espoir d’un retour à la table des négociations, les discussions ont achoppé sur la question des garanties : Téhéran refuse de se contenter de promesses verbales, après avoir vu l’accord de 2015 vidé de sa substance par un simple décret présidentiel américain.

En 2023 et 2024, plusieurs cycles de négociations ont permis de réduire certaines tensions : l’Iran a accepté de limiter l’enrichissement de son uranium à 20 %, l’AIEA a pu reprendre partiellement ses inspections, et des échanges de prisonniers ont eu lieu. Mais les sanctions économiques, qui frappent durement l’économie iranienne, restent en place, alimentant la défiance de la population et la rhétorique anti-occidentale du régime.

Les exigences de Téhéran : garanties, calendrier et mécanismes de contrôle

Dans sa déclaration du 2 juin, le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a détaillé les conditions d’un éventuel accord : la levée immédiate des principales sanctions sur le pétrole, les banques et le commerce international ; l’engagement écrit du Congrès américain à ne pas revenir sur l’accord en cas de changement d’administration ; et la mise en place d’un mécanisme d’arbitrage international en cas de litige.

Pour Téhéran, il s’agit d’obtenir la certitude que l’effort consenti sur le nucléaire sera récompensé par des bénéfices économiques tangibles, et non remis en cause à chaque alternance politique à Washington. Cette exigence se heurte à la réalité du système politique américain, où le Congrès conserve un droit de regard sur les grands accords internationaux.

La position américaine : dialogue, mais prudence

Du côté américain, la Maison Blanche se dit prête à discuter de « garanties raisonnables », mais refuse de s’engager au-delà du mandat présidentiel actuel. Les conseillers de Joe Biden rappellent que le Congrès, à majorité républicaine, reste très hostile à tout compromis avec l’Iran, accusé de soutenir le terrorisme régional et de menacer la sécurité d’Israël et des alliés du Golfe.

Les États-Unis insistent sur la nécessité de contrôles stricts et d’un accès total de l’AIEA aux sites nucléaires iraniens. Ils demandent également des engagements sur la limitation du programme balistique iranien et sur la fin du soutien aux milices chiites en Irak, au Liban et au Yémen. Pour Washington, la levée des sanctions ne pourra intervenir qu’en échange de garanties vérifiables sur la nature exclusivement civile du programme nucléaire iranien.

L’Europe et la Russie, médiateurs sous pression

Les Européens, signataires du JCPOA, jouent les médiateurs entre les deux camps. La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni appellent à un compromis rapide, rappelant que chaque mois de blocage rapproche l’Iran du seuil de l’arme nucléaire. La Russie, alliée de Téhéran mais aussi partenaire de Washington sur d’autres dossiers, tente de maintenir le dialogue malgré la dégradation de ses relations avec l’Occident depuis la guerre en Ukraine.

L’AIEA, de son côté, alerte sur la multiplication des stocks d’uranium enrichi en Iran et sur le risque d’une perte de contrôle si les inspections ne sont pas renforcées. Son directeur général, Rafael Grossi, a appelé à la « responsabilité collective » pour éviter une nouvelle crise de prolifération au Moyen-Orient.

Les enjeux économiques et sociaux pour l’Iran

Pour la population iranienne, épuisée par des années de sanctions, la levée des restrictions économiques est une priorité absolue. L’inflation dépasse 40 %, le chômage des jeunes atteint des records, et les manifestations sporadiques contre la vie chère se multiplient. Les conservateurs au pouvoir, tout en affichant une posture de fermeté, savent qu’un échec des négociations pourrait fragiliser leur légitimité.

Les milieux d’affaires iraniens, tout comme les partenaires commerciaux traditionnels (Chine, Inde, Turquie), attendent un signal clair pour relancer les investissements. La levée des sanctions permettrait à l’Iran d’augmenter ses exportations de pétrole, de moderniser son industrie et de renouer avec la croissance. Mais la méfiance reste forte, après les déconvenues de l’après-2015.

Les risques d’escalade régionale

L’absence d’accord sur le nucléaire iranien comporte des risques majeurs pour la stabilité régionale. Israël, qui considère l’Iran comme une menace existentielle, multiplie les mises en garde et n’exclut pas des frappes préventives sur les sites nucléaires. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, tout en dialoguant avec Téhéran, s’inquiètent d’une montée en puissance de leur rival chiite.

Les États-Unis maintiennent une présence militaire importante dans le Golfe et poursuivent leurs opérations de surveillance. Tout incident – attaque de pétrolier, cyberattaque, affrontement en Syrie ou en Irak – pourrait servir de prétexte à une escalade incontrôlable.

Un accord possible ou un nouveau blocage ?

Les prochains jours seront décisifs. Les diplomates européens espèrent arracher un compromis sur un calendrier de levée progressive des sanctions, assorti de garanties techniques et d’un mécanisme de suivi. Mais le contexte politique, à Washington comme à Téhéran, reste très incertain : les élections américaines de 2026 approchent, et les conservateurs iraniens jouent leur survie politique.

Pour la communauté internationale, l’enjeu dépasse le seul dossier iranien. Il s’agit de préserver le régime de non-prolifération, d’éviter une course aux armements au Moyen-Orient, et de montrer que la diplomatie peut encore l’emporter sur la logique de confrontation.

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