Soudan – Deux ans de guerre civile, une crise humanitaire sans précédent

Le Soudan, pays charnière entre l’Afrique subsaharienne et le monde arabe, vit depuis avril 2023 une guerre civile d’une violence et d’une ampleur inédites dans son histoire moderne. Deux ans après le début du conflit, le pays est dévasté, la population plongée dans la misère, et la communauté internationale alerte sur « la pire catastrophe humanitaire au monde »34. Retour sur les causes, le déroulement, les conséquences et les perspectives d’un conflit qui bouleverse la région et menace la stabilité du continent africain.

Genèse du conflit : rivalité au sommet et effondrement de l’État

La guerre éclate le 15 avril 2023, opposant les Forces armées soudanaises (FAS), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, aux Forces de soutien rapide (FSR), milice paramilitaire puissante commandée par Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemetti »8. Les deux hommes, alliés lors de la chute du dictateur Omar el-Béchir en 2019, se disputent le contrôle de l’État, des ressources économiques et du pouvoir militaire. Très vite, les affrontements gagnent la capitale Khartoum, Omdourman, puis le Darfour et d’autres régions stratégiques, plongeant le pays dans le chaos8.

Une guerre urbaine et régionale

La bataille de Khartoum, qui dure près de deux ans, est emblématique de la brutalité du conflit. Les combats urbains, l’usage d’artillerie lourde, de drones et de frappes aériennes dévastent la ville. Les FSR prennent le contrôle de quartiers entiers, du palais présidentiel et de l’aéroport, avant d’être repoussées par l’armée en mars 2025, qui reprend la majeure partie de la capitale et libère plus de 4 000 otages68. Mais la guerre ne s’arrête pas à Khartoum : le Darfour, théâtre d’atrocités depuis vingt ans, connaît une nouvelle vague de violences, de massacres ethniques et de frappes aveugles sur des marchés et des camps de déplacés7.

Un bilan humain effroyable

Les chiffres du conflit donnent le vertige. Selon des études récentes, plus de 150 000 personnes auraient été tuées depuis 2023, dont au moins 61 000 dans la seule région de Khartoum24. Les décès sont causés autant par les violences directes que par les maladies évitables, la famine et l’effondrement du système de santé. Le Darfour reste le théâtre d’atrocités, de nettoyages ethniques et de frappes meurtrières, comme celle du marché de Tora en mars 2025 qui a fait des centaines de morts7.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme recense régulièrement des centaines de morts civils chaque semaine, victimes de tirs d’artillerie, de frappes aériennes et d’attaques de drones5.

Déplacement massif de populations et crise humanitaire

Le Soudan connaît le plus grand déplacement de population de son histoire : près de 13 millions de personnes ont été déracinées, dont plus de 8 millions à l’intérieur du pays et 5 millions réfugiés dans les pays voisins (Tchad, Égypte, Soudan du Sud, Éthiopie)37. Les camps de déplacés, surpeuplés, sont en proie à la famine, à l’insalubrité et à la violence.
L’ONU estime que 25 millions de personnes, soit plus de la moitié de la population soudanaise, sont menacées par la faim et dépendent de l’aide humanitaire pour survivre34. Mais l’accès à l’aide est entravé par l’insécurité, les barrages routiers et les attaques contre les travailleurs humanitaires – plus de 57 bénévoles ont été tués depuis le début du conflit5.

Effondrement des services essentiels et économie à l’arrêt

Le système de santé soudanais s’est effondré : hôpitaux détruits, manque de médicaments, épidémies de choléra, de rougeole et de paludisme. Les écoles sont fermées, privant des millions d’enfants d’éducation. L’économie est paralysée : inflation galopante, chômage massif, banques en faillite et commerce à l’arrêt.
Les infrastructures vitales, comme l’eau et l’électricité, sont régulièrement coupées, aggravant la détresse des populations urbaines et rurales.

Violations massives des droits humains

Le conflit est marqué par des violations graves du droit international humanitaire : attaques aveugles contre des civils, exécutions sommaires, viols, enlèvements, nettoyage ethnique au Darfour, usage d’armes interdites. Amnesty International a dénoncé l’utilisation de matériel militaire français par les FSR, en violation de l’embargo sur les armes décrété par l’ONU2.
Les deux parties sont accusées de crimes de guerre, et la communauté internationale réclame l’ouverture d’enquêtes indépendantes.

Enjeux régionaux et risques de contagion

La guerre au Soudan menace la stabilité de toute la région : afflux de réfugiés, trafics d’armes, interventions étrangères (Émirats arabes unis, Égypte, Russie, France), risques de balkanisation du pays. Le Darfour, déjà ravagé par la guerre au début des années 2000, pourrait devenir le foyer d’un nouveau conflit régional.

Médiations et perspectives de sortie de crise

Malgré les efforts de l’ONU, de l’Union africaine, de la Ligue arabe et des États-Unis, aucun cessez-le-feu durable n’a été obtenu. Les négociations sont bloquées par la méfiance entre les parties, la fragmentation des groupes armés et les intérêts divergents des puissances régionales.
La reprise du dialogue politique, la protection des civils, l’accès humanitaire et la reconstruction du pays sont les conditions minimales pour espérer une sortie de crise.

Témoignages et voix du terrain

Fatima, déplacée à l’est du pays, confie : « Nous avons fui Khartoum sous les bombes. Ici, il n’y a ni nourriture, ni soins, ni école pour mes enfants. Nous survivons grâce à la solidarité des autres réfugiés. »
Un médecin à Nyala, au Darfour, témoigne : « Nous manquons de tout. Les blessés meurent faute de médicaments. Les enfants sont traumatisés. »

Conclusion : un pays à reconstruire

Deux ans après le début de la guerre civile, le Soudan est un pays brisé, sa population épuisée et sa jeunesse privée d’avenir. La mobilisation internationale, la solidarité régionale et la pression sur les belligérants sont plus que jamais nécessaires pour éviter une catastrophe encore plus grande et préparer la reconstruction d’un État de droit.

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