Introduction : Un incident à haut risque ravive la fracture somalienne
Au petit matin du 23 juillet 2025, la Somalie s’éveille sous le choc d’une nouvelle crise institutionnelle. Les autorités du Puntland, région autonome du Nord-Est somalien, ont annoncé avoir arraisonné dans leurs eaux territoriales un navire transportant du matériel militaire lourd à destination des forces armées gouvernementales. Cet acte spectaculaire met une nouvelle fois en lumière les profondes tensions qui travaillent la structure fédérale du pays, exposant de nouveau la Somalie à l’incertitude sécuritaire et politique.
Les faits : une saisie aux répercussions explosives
Le navire, battant pavillon somalien et officiellement affrété par le gouvernement central de Mogadiscio, convoyait selon les premiers bilans des armes lourdes (véhicules blindés, munitions, équipements de communication). Selon la version des autorités du Puntland, l’opération d’arraisonnement répondait à des « doutes sérieux » sur la destination finale du chargement et à l’absence de coordination préalable avec le gouvernement régional, alors que la région connaît une recrudescence de violence liée notamment à la menace continue d’Al-Shabaab et d’autres groupes armés.
Pour le gouvernement fédéral, il s’agit d’un « acte de piraterie politique », une entrave manifeste à la reconstruction d’un État unifié et au renforcement des capacités des forces nationales. Mogadiscio a convoqué d’urgence une réunion du Conseil de sécurité nationale et dénoncé auprès de la communauté internationale un « recours inacceptable à des méthodes de force par une entité subordonnée à l’État fédéral ».
Histoire d’une défiance institutionnelle en Somalie
Pour comprendre la gravité de cette affaire, il faut replacer cet incident dans l’histoire longue des relations chaotiques entre le gouvernement central somalien et ses régions autonomes, au premier rang desquelles le Puntland. Depuis la chute du régime central en 1991, Somalie et Puntland négocient sans cesse la ligne de partage entre centralisme et autonomie. Les enjeux sont multiples : contrôle des ressources, gestion de l’aide internationale, construction d’appareils sécuritaires légitimes, rivalités entre clans et lutte pour le contrôle des flux commerciaux et militaires.
Le Puntland, créé en 1998 comme entité autonome, n’a jamais revendiqué l’indépendance – à la différence du Somaliland – mais développe ses propres forces de sécurité, structures administratives et politique extérieure. Les suspicions mutuelles se sont accentuées au fil des ans, Mogadiscio accusant le Puntland de freiner la centralisation et le Puntland dénonçant une « mainmise » croissante de la capitale.
Perception à Garowe et Mogadiscio : sécession ou autodéfense ?
Du côté du gouvernement régional à Garowe (capitale du Puntland), la décision d’intercepter et d’immobiliser le navire est d’abord présentée comme une nécessité de préserver la sécurité locale : la région fait face à la résurgence d’attaques contre les civils et les services de l’État, à la compétition entre chefs de guerre, et accuse Mogadiscio d’agir sans concertation réelle.
Le président du Puntland, Said Abdullahi Deni, a déclaré lors d’un point presse exceptionnel :
« Nous ne pouvons accepter qu’un convoi militaire traverse nos eaux sans information transparente. La sécurité du Puntland, et par extension celle de tout l’Est de la Somalie, ne saurait être sacrifiée sur l’autel de la centralisation. »
De leur côté, les responsables fédéraux à Mogadiscio dénoncent une « violation grave de l’unité nationale », rappelant que l’effort pour équiper et professionnaliser l’armée fédérale doit primer pour la stabilité du pays tout entier.
Risques d’escalade : les vieux démons de la Somalie
Les analystes militaires et diplomatiques s’inquiètent d’une militarisation progressive de cette crise institutionnelle. Le spectre d’affrontements à la frontière Puntland-Hirshabelle ou même d’une rupture du dialogue politique paraît désormais crédible, d’autant que des groupes extrémistes pourraient profiter d’une déstabilisation du rapport de force pour regagner du terrain.
La Somalie, encore fragilisée par des décennies de guerre, a besoin de stabilité pour poursuivre sa reconstruction, coordonner la lutte contre Al-Shabaab et continuer de bénéficier de l’aide internationale (aujourd’hui près de 80% du budget fédéral).
Les enjeux régionaux et la réaction internationale
La tension Somali-Puntland dépasse le cadre strictement local. L’Union africaine (AMISOM), l’ONU, et les partenaires du Golfe observent la situation avec une vive inquiétude. Un retour à la confrontation directe minerait les tentatives de pacification et de fédéralisation, et pourrait compromettre les efforts récents de dialogue inclusif.
Dans un communiqué publié à Addis-Abeba, l’Union africaine appelle :
« Toutes les parties à privilégier la modération, à ouvrir une enquête indépendante sur l’incident, et à renouer sans délai le dialogue institutionnel pour sauvegarder l’intégrité et la paix nationales. »
Scénarios d’avenir : sortie de crise ou dérive séparatiste ?
L’évolution de la crise dépendra de la capacité du gouvernement fédéral à négocier sans recourir à la force, et du volontarisme du Puntland à réintégrer les discussions nationales. Certains experts suggèrent la mise en place d’une commission d’enquête mixte, l’internationalisation du règlement du litige, voire une médiation régionale.
Une crise prolongée pourrait avoir des effets domino : sur l’activité portuaire et le commerce régional, sur la sécurité anti-terroriste, et sur le calendrier électoral national.
Conclusion
La saisie du navire militaire par le Puntland est bien plus qu’un simple incident maritime : elle illustre la fragilité de l’édifice institutionnel somalien, la défiance historique entre centre et autonomie et la difficulté de bâtir un consensus pour une nation inclusive et stable. Plus que jamais, la Somalie doit opter pour le dialogue afin d’éviter que cet acte, lourd de symboles, ne précipite le pays dans une nouvelle spirale de division et de conflit régional.