Introduction
Le retrait total des troupes françaises du Tchad en janvier 2025 marque un tournant dans l’équilibre sécuritaire du Sahel. Alors que la France ne maintient plus que 2 000 soldats à Djibouti et au Gabon, le Mali, le Burkina Faso et le Niger – regroupés dans l’Alliance des États du Sahel (AES) – multiplient les partenariats avec la Russie et les Émirats arabes unis. Cet article analyse les conséquences de cette reconfiguration géopolitique sur la lutte antiterroriste et la stabilité régionale.
Le retrait français : Chronique d’un désengagement annoncé
En décembre 2024, N’Djamena suspend unilatéralement l’accord de défense avec Paris, exigeant le départ des 1 000 militaires stationnés à Abéché et N’Djamena. Le processus s’accélère : évacuation de la base de Faya-Largeau (120 soldats et 70 tonnes de matériel), rapatriement des véhicules via Douala, et rétrocession de la base aérienne 172 en janvier 2025. « Cette décision n’est pas une substitution de puissance, mais un réétalonnage stratégique », insiste le ministre tchadien Abderaman Koulamallah.
L’AES et la militarisation russe : Une réponse à double tranchant
Face au vide laissé par la France, les pays de l’AES misent sur :
- Une force conjointe : Annoncée en mars 2024, elle vise à « créer une sécurité partagée » contre les groupes jihadistes, avec un concept opérationnel élaboré à Niamey.
- Le soutien de Wagner : Déploiement de mercenaires russes pour des opérations ciblées (renseignement, contre-insurrection).
- Des accords logistiques : Négociations avec Moscou pour l’accès au port sénégalais, facilitant le déploiement régional.
Cependant, les défis persistent : matériel militaire hétéroclite (mixité franco-russe), manque de drones et de satellites, et dépendance financière accrue. « Combattre le terrorisme exige une domination aérienne que l’AES ne possède pas encore », souligne Oumar Ba, analyste sécurité.
Impact sécuritaire : Une violence en hausse malgré les gains territoriaux
Les statistiques du Armed Conflict Location and Event Data révèlent une augmentation de 25 % des victimes civiles au premier semestre 2024 (3 064 morts). Si les forces de l’AES reprennent des zones aux jihadistes (nord du Burkina, régions frontalières du Mali), les attaques de grande ampleur persistent :
- Assauts de camps militaires (exemple : attaque de Ouagadougou en février 2024).
- Porosité des frontières : Exploitation par les groupes armés des zones interstitielles entre Mali, Niger et Burkina.
Nouveaux acteurs, nouvelles dépendances
La Russie n’est pas seule à remplir le vide :
- Émirats arabes unis : Financement d’infrastructures tchadiennes en échange d’un aéroport logistique pour soutenir les RSF au Soudan.
- Chine : Visite de Wang Yi à N’Djamena en janvier 2025, explorant des partenariats miniers et sécuritaires.
Ces alliances, bien que bénéfiques à court terme, risquent de reproduire les anciennes dépendances. « Les pays de l’AES échangent une tutelle contre une autre », critique un diplomate ouest-africain sous couvert d’anonymat.
Conclusion : Un Sahel en quête d’équilibre
Le retrait français accélère la fragmentation sécuritaire du Sahel. Si l’AES incarne une volonté d’autonomie, son succès dépendra de sa capacité à :
- Unifier les doctrines militaires (intégration des équipements russes/occidentaux).
- Mobiliser les populations locales via des politiques inclusives.
- Diversifier les partenariats sans tomber dans le piège de l’endettement stratégique.