RDC : Les opérations militaires conjointes à l’épreuve – Entre succès, limites et défis de la stabilisation de l’Est
Goma, 23 avril 2025 –
L’Est de la République démocratique du Congo (RDC) reste l’un des foyers de violence les plus persistants du continent africain. Malgré des décennies d’efforts nationaux et internationaux, la région du Kivu, de l’Ituri et du Haut-Uélé demeure en proie à une multitude de groupes armés, à des conflits intercommunautaires et à une crise humanitaire endémique. Depuis 2021, les opérations militaires conjointes entre l’armée congolaise (FARDC) et plusieurs forces régionales – notamment l’Ouganda, le Burundi et la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EACRF) – cherchent à inverser la tendance. Mais quel bilan tirer de ces actions et quelles perspectives pour la paix ?
Une mosaïque de groupes armés, un défi sécuritaire complexe
La région de l’Est congolais compte plus de 120 groupes armés actifs, selon le Baromètre sécuritaire du Kivu. Parmi eux, les Forces démocratiques alliées (ADF), d’origine ougandaise, sont responsables de massacres récurrents et de nombreux enlèvements. Les groupes Maï-Maï, les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), le M23 et d’autres milices locales exploitent l’absence de l’État, les rivalités ethniques et la manne des ressources naturelles pour perpétuer l’instabilité.
Les FARDC, malgré leur volonté affichée, souffrent de sous-équipement, de corruption et de problèmes de discipline. C’est dans ce contexte que les opérations conjointes ont été lancées, avec l’appui logistique et parfois opérationnel des armées ougandaise et burundaise, ainsi que sous la coordination de l’EACRF.
Les opérations conjointes : objectifs et déroulement
Lancée en novembre 2021, l’opération Shujaa a marqué le début d’une coopération militaire inédite entre la RDC et l’Ouganda, ciblant principalement les ADF dans la région de Beni et de l’Ituri. D’autres opérations, menées avec le Burundi, visent à neutraliser les groupes armés actifs dans le Sud-Kivu et à sécuriser les frontières.
Les objectifs affichés sont clairs :
- Démanteler les bases des groupes armés,
- Rétablir la sécurité des populations civiles,
- Permettre le retour de l’autorité de l’État et des services sociaux,
- Favoriser le retour des déplacés internes.
Bilan mitigé : entre avancées tactiques et limites structurelles
Après plus de trois ans d’opérations, le bilan est contrasté.
Côté positif :
- Plusieurs camps des ADF ont été détruits, des chefs rebelles neutralisés, et des armes saisies.
- Certaines zones, naguère inaccessibles, ont vu revenir l’administration et les ONG.
- La coopération régionale a permis de mieux coordonner les renseignements et de limiter les fuites de combattants vers les pays voisins.
Mais les limites sont nombreuses :
- Les groupes armés, très mobiles, se reconstituent rapidement, adoptant des tactiques de guérilla et se fondant dans la population.
- Les exactions contre les civils se poursuivent, avec plus de 2 000 morts recensés en 2024 dans le seul Nord-Kivu.
- Les accusations de violations des droits humains par les forces conjointes, notamment pillages et violences sexuelles, entachent la légitimité des opérations.
- La méfiance entre les armées partenaires, les rivalités historiques et le manque de coordination logistique limitent l’efficacité à long terme.
La MONUSCO en retrait, la société civile en alerte
La Mission de l’ONU en RDC (MONUSCO), en phase de désengagement progressif, se concentre désormais sur la protection des civils et l’appui logistique. Son retrait, prévu d’ici fin 2025, inquiète de nombreux acteurs locaux qui redoutent un vide sécuritaire. La société civile, très active dans la dénonciation des abus et la défense des droits humains, réclame plus de transparence, de justice et d’inclusion des communautés dans la recherche de solutions.
Enjeux humanitaires et socio-économiques
La persistance de l’insécurité a des conséquences dramatiques :
- Près de 7 millions de déplacés internes dans l’Est, selon l’OCHA,
- Fermeture de milliers d’écoles et de centres de santé,
- Explosion des violences sexuelles,
- Difficultés d’accès à l’aide humanitaire.
Le tissu économique local est détruit, les agriculteurs n’osent plus cultiver leurs terres et l’exploitation illégale des ressources (or, coltan, bois) finance la guerre.
Quelles perspectives pour la paix ?
Pour sortir de l’impasse, plusieurs pistes sont évoquées :
- Renforcer la réforme de l’armée congolaise : formation, discipline, lutte contre la corruption.
- Soutenir la justice transitionnelle : poursuites contre les auteurs de crimes, réparations pour les victimes.
- Impliquer davantage les communautés locales : dialogue intercommunautaire, programmes de réinsertion des ex-combattants, développement local.
- Poursuivre la coopération régionale mais sur des bases plus transparentes et inclusives, en évitant la compétition entre puissances voisines.
Le rôle de la diplomatie africaine et internationale
L’Union africaine, la CIRGL (Conférence internationale sur la région des Grands Lacs) et les partenaires internationaux doivent soutenir un processus politique global, associant la RDC, le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi. La pression sur les soutiens extérieurs des groupes armés, la lutte contre le trafic d’armes et la promotion d’une gouvernance inclusive sont essentielles pour briser le cycle de la violence.
Conclusion
Les opérations militaires conjointes en RDC ont permis certains progrès, mais la paix durable exige une approche globale, associant sécurité, justice, développement et diplomatie régionale. L’avenir de l’Est congolais dépendra de la capacité des acteurs à dépasser les logiques de guerre et à investir dans la reconstruction humaine et institutionnelle.