Manu Dibango, l’enfant de Douala qui a fait danser le monde : héritage d’un génie du soul makossa

Introduction

Le 24 mars 2020, le monde de la musique pleurait la disparition de Manu Dibango, saxophoniste et compositeur camerounais, figure tutélaire de l’afro-jazz et inventeur du soul makossa. De Douala à New York, de Paris à Tokyo, son groove a traversé les frontières, inspirant des générations d’artistes et faisant vibrer les pistes de danse du monde entier. Ce dossier retrace le parcours exceptionnel de ce fils du Cameroun, explore la genèse du soul makossa, analyse l’impact de son œuvre sur la musique mondiale — jusqu’à Michael Jackson — et interroge la portée culturelle et identitaire de son héritage.

1. Douala, berceau d’un géant : enfance et influences

1.1. Une enfance entre deux mondes

Né le 12 décembre 1933 à Douala, Manu Dibango — Emmanuel N’Djoké Dibango de son vrai nom — grandit dans une famille protestante, entre une mère douala, couturière et professeur de chant à la chorale du temple, et un père yabassi, fonctionnaire respecté. Dans la maison familiale, le gramophone fait découvrir au jeune Manu la musique française, américaine et cubaine, importée par les marins du port de Douala. Cette ouverture précoce à la diversité des sons forge sa curiosité et son éclectisme2.

1.2. Le choc de l’exil et la découverte du jazz

En 1949, à 15 ans, Manu embarque pour la France, envoyé par ses parents pour poursuivre ses études. Il débarque à Saint-Calais, dans la Sarthe, avec trois kilos de café pour payer sa pension57. Coupé de ses repères, il découvre le jazz dans les internats de Chartres, Château-Thierry puis Reims. Il s’initie au piano, puis tombe amoureux du saxophone, instrument qui deviendra son emblème67. C’est aussi à cette époque qu’il rencontre Francis Bebey, qui l’initie au jazz et l’encourage à explorer ses racines africaines1.

2. L’apprentissage européen : entre cabarets, jazz et africanisation

2.1. Premiers pas professionnels à Bruxelles

Après un échec au bac et une rupture avec son père, Manu part à Bruxelles, où il fréquente les cabarets et la communauté congolaise. Il épouse Coco, mannequin belge, en 1957, et se produit dans les clubs de la capitale, où son jazz s’africanise au contact des musiciens congolais. Sa rencontre avec le Grand Kallé, figure de la rumba congolaise, est décisive : il intègre l’orchestre African Jazz et enregistre ses premiers succès africains.

2.2. Retour en France et percée dans la variété

De retour en France, Manu Dibango accompagne les stars de la chanson française : Nino Ferrer, Dick Rivers, Michel Fugain, Mike Brant. Il devient chef d’orchestre de Nino Ferrer, enchaîne les tournées et affine son style, mêlant jazz, rythmes africains et influences pop. En 1971, il sort son deuxième album, « Manu Dibango », qui rencontre un certain succès en Afrique3.

3. Soul Makossa : l’invention d’un groove universel

3.1. La genèse d’un tube planétaire

En 1972, Manu Dibango compose « Soul Makossa » à l’occasion de la Coupe d’Afrique des Nations à Yaoundé. La chanson, initialement face B d’un 45 tours, est un hymne à la joie et à la danse, porté par le fameux refrain « Mama-say mama-sa mama-coosa ». Ce morceau fusionne le makossa camerounais, le jazz, la soul et les rythmes afro-cubains, inventant un son inédit et irrésistible.

3.2. Le raz-de-marée mondial

Repérée par des DJs new-yorkais, « Soul Makossa » devient un hit dans les clubs underground, avant de conquérir les radios américaines puis le monde entier. En 1973, Manu Dibango entame une tournée triomphale aux États-Unis et donne son premier concert à l’Olympia à Paris. Le morceau s’impose comme l’un des premiers tubes mondiaux de la world music, ouvrant la voie à l’afrobeat, au disco et à la pop globale.

3.3. Soul Makossa, le morceau le plus samplé de l’histoire ?

« Soul Makossa » est considéré comme l’un des morceaux les plus samplés de l’histoire de la musique : Michael Jackson, Rihanna, Kanye West, Akon et bien d’autres ont repris ou réinterprété son célèbre gimmick vocal. Ce succès planétaire consacre Manu Dibango comme un pionnier du métissage musical.

4. Manu Dibango et Michael Jackson : une histoire de groove, de justice et d’influence

4.1. Le « Mama-say mama-sa » de la discorde

En 1982, Michael Jackson sort « Wanna Be Startin’ Somethin’ » sur l’album « Thriller », reprenant le refrain de « Soul Makossa » sans autorisation. Manu Dibango engage une action en justice : un accord à l’amiable est trouvé, reconnaissant la paternité du gimmick à l’artiste camerounais6. Plus tard, Rihanna sample à son tour le morceau, relançant la question des droits d’auteur.

4.2. Un hommage involontaire à l’Afrique

L’histoire entre Dibango et Jackson illustre la puissance de l’influence africaine sur la pop mondiale. Si le contentieux juridique a marqué les esprits, il a surtout révélé l’universalité du groove africain, capable de traverser les genres et les continents. Manu Dibango, loin de l’amertume, y voyait la preuve que la musique n’a pas de frontières et que le makossa appartient à tous.

5. Un ambassadeur de la culture africaine et du dialogue des musiques

5.1. Un musicien nomade, ouvert à tous les horizons

Manu Dibango a enregistré plus de quarante albums, composé des musiques de films et collaboré avec des artistes du monde entier : Fela Kuti, Herbie Hancock, Ladysmith Black Mambazo, Sly and Robbie, Eliades Ochoa, Youssou N’Dour56. Il a parcouru les scènes des cinq continents, prêchant l’ouverture, le dialogue et le respect des différences.

5.2. Le militant d’une Afrique fière et moderne

Dibango n’a jamais cessé de défendre la culture africaine, de valoriser les langues et les rythmes du continent, et de dénoncer les clichés et les discriminations. Il a inspiré des générations de musiciens africains, du Cameroun au Nigeria, de Kinshasa à Johannesburg, et a contribué à l’émergence d’une identité musicale africaine contemporaine.

5.3. Un passeur entre les mondes

Installé à Paris, Manu Dibango a incarné le pont entre l’Afrique et l’Europe, entre tradition et modernité. Il a reçu de nombreuses distinctions : Chevalier de la Légion d’honneur, All African Music Legend Award, doctorat honoris causa, etc.2. Son engagement pour la paix, la tolérance et l’éducation musicale a marqué les esprits.

6. L’héritage de Manu Dibango : au-delà de la musique

6.1. Un modèle pour la jeunesse africaine

Manu Dibango reste une source d’inspiration pour la jeunesse africaine : il a montré qu’il était possible de réussir sans renier ses racines, de s’ouvrir au monde tout en restant fidèle à son identité. Son parcours, de Douala à la scène mondiale, incarne la résilience, la créativité et l’audace.

6.2. Le soul makossa, patrimoine mondial

Le makossa, genre musical camerounais popularisé par Dibango, est désormais reconnu comme un patrimoine culturel mondial. Il a influencé le zouk, le coupé-décalé, l’afrobeat et la pop urbaine. Les festivals, les écoles de musique et les jeunes artistes perpétuent son héritage, du Cameroun à la diaspora.

6.3. Un symbole d’unité et de métissage

Dans un monde traversé par les replis identitaires, Manu Dibango a prouvé que le métissage est une force. Son œuvre est un hymne à la fraternité, à la diversité et à la joie de vivre. Sa devise : « La musique, c’est la vie, et la vie, c’est le partage. »

Conclusion

Manu Dibango, l’enfant de Douala, a fait danser la planète et ouvert la voie à des générations d’artistes africains. Génie du saxophone, inventeur du soul makossa, passeur de cultures, il laisse un héritage immense, à la fois musical, culturel et humain. De Michael Jackson à la jeunesse camerounaise, son groove continue de résonner. Plus qu’un musicien, Manu Dibango est un symbole de l’Afrique qui rayonne, crée et inspire. Son nom restera à jamais gravé dans l’histoire des musiques du monde.

Related posts

Afrobeat : la conquête des charts mondiaux par les artistes nigérians

La responsabilité des artistes dans la culture et les mœurs : influences et devoirs envers la jeunesse africaine

Palme du court-métrage pour “I’m Glad You’re Dead Now” du Palestinien Tawfeek Barhom