Un séisme géopolitique en Afrique de l’Ouest
Le 10 mai 2025, le Niger, le Mali et le Burkina Faso ont officialisé leur retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), actant la rupture avec une organisation régionale qui, depuis des décennies, incarnait l’intégration et la stabilité dans la sous-région. Cette décision historique, annoncée simultanément à Bamako, Ouagadougou et Niamey, s’inscrit dans une dynamique de contestation des modèles de gouvernance imposés par l’extérieur et marque l’affirmation d’une souveraineté retrouvée.
Les raisons d’un divorce : sanctions, pressions et quête d’autonomie
Depuis les coups d’État successifs ayant porté des juntes militaires au pouvoir dans ces trois pays, la CEDEAO a multiplié les sanctions économiques, suspendu les aides et tenté d’imposer des calendriers de transition jugés irréalistes par les nouveaux dirigeants. Pour Bamako, Niamey et Ouagadougou, ces mesures sont perçues comme des ingérences, voire des « diktats » étrangers, incompatibles avec les réalités sécuritaires et sociales locales.
Le retrait de la CEDEAO est donc présenté comme un acte de résistance et de réaffirmation de la souveraineté nationale. Les trois pays dénoncent une organisation « instrumentalisée par les puissances occidentales » et affirment leur volonté de bâtir une intégration régionale sur de nouvelles bases, plus respectueuses de leur identité et de leurs priorités.
Vers une nouvelle union régionale : l’Alliance des États du Sahel
Dans la foulée de leur retrait, les trois capitales ont annoncé la création de l’Alliance des États du Sahel (AES), une structure destinée à renforcer la coopération militaire, économique et politique entre pays sahéliens. L’AES se veut une alternative à la CEDEAO, centrée sur la lutte contre le terrorisme, la sécurité des frontières et le développement endogène.
Parmi les projets phares de cette nouvelle alliance figure la création d’une monnaie commune, destinée à affranchir les économies sahéliennes de la dépendance au franc CFA et aux institutions financières internationales. Cette monnaie, dont le nom et les modalités techniques restent à définir, devrait favoriser les échanges intra-régionaux, stimuler l’investissement local et renforcer la résilience face aux chocs extérieurs.
Les défis d’une transition monétaire et institutionnelle
La mise en place d’une monnaie régionale représente un défi colossal. Outre les questions techniques (taux de change, réserves de change, politique monétaire), les trois pays devront convaincre leurs partenaires commerciaux et rassurer les populations sur la stabilité de la nouvelle devise. Les précédents africains, comme la tentative d’union monétaire en Afrique de l’Est, montrent que le succès dépendra de la capacité à instaurer une gouvernance crédible et à garantir la convertibilité de la monnaie.
Sur le plan institutionnel, la sortie de la CEDEAO prive les trois pays de nombreux avantages : accès au marché commun, libre circulation des personnes et des biens, mécanismes d’arbitrage et de règlement des différends. L’AES devra rapidement mettre en place des structures alternatives pour éviter l’isolement économique et politique.
Les réactions régionales et internationales
- CEDEAO : L’organisation a exprimé sa « profonde préoccupation » et appelé au dialogue, tout en maintenant la suspension des trois pays.
- Union africaine : Elle redoute un effet domino et appelle à la préservation de l’unité continentale.
- France, États-Unis, Union européenne : Les partenaires occidentaux s’inquiètent de la montée de l’instabilité et de la perte d’un interlocuteur régional clé.
- Russie, Chine, Turquie : Ces puissances voient dans l’AES une opportunité d’élargir leur influence en Afrique de l’Ouest, en proposant des partenariats « sans conditionnalités politiques ».
Quelles perspectives pour le Sahel ?
La réussite de l’AES et de la monnaie commune dépendra de la capacité des trois pays à surmonter leurs divisions internes, à restaurer la sécurité et à mobiliser des ressources pour le développement. Le risque d’isolement est réel, mais l’opportunité de bâtir un modèle alternatif d’intégration régionale, affranchi des tutelles extérieures, suscite l’espoir chez de nombreux jeunes et acteurs de la société civile.
Conclusion
Le retrait du Niger, du Mali et du Burkina Faso de la CEDEAO et la création d’une nouvelle monnaie régionale constituent un tournant majeur pour l’Afrique de l’Ouest. Entre risques d’isolement et promesses de souveraineté retrouvée, l’avenir du Sahel se joue aujourd’hui sur la capacité de ses dirigeants à inventer une nouvelle voie d’intégration et de développement.