La sécheresse prolongée qui frappe le nord et le centre du Nigéria n’est pas qu’une nouvelle crise cyclique : elle incarne un basculement historique pour le géant ouest-africain, où l’agriculture subsistait déjà sous une pression démographique et climatique croissante. Face à l’absence ou à l’inefficacité des réponses gouvernementales, les agriculteurs nigérians prennent désormais leur destin en main : ils multiplient les innovations, redessinent les modèles de production et fondent de nouveaux réseaux de solidarité pour résister à l’épreuve du climat.
Entre désespoir et audace : l’urgence climatique s’ancre dans les routines rurales
Les rapports de la FAO, du gouvernement nigérian et des ONG locales confirment l’ampleur de la tragédie : ces cinq dernières années, la région des États du nord (Kano, Katsina, Jigawa…) a perdu plus de 35 % de son rendement céréalier annuel. Les rizières s’assèchent, le sorgho dépérit, les bovins peinent à survivre. “Nous avons tout essayé : prier pour la pluie, installer des puits… Mais ce qui change, c’est la chaleur : même nos enfants n’ont jamais vu ça”, lance Aisha, mère de six enfants près de Maiduguri.
La riposte : de l’agriculture régénératrice aux réseaux communautaires
Face à cette impasse, la jeunesse paysanne se mobilise. Un mouvement d’agriculture régénératrice fait école : cultures associées (niébé, arachide, millet sur une même parcelle), reforestation rapide (plantations d’acacias et de fruitiers), compostage naturel pour retenir l’humidité. Les groupes d’entraide féminins innovent aussi : microcrédits, création de petits barrages collinaires, choix de variétés ultra-résistantes comme le riz Nerica.
Par-delà la technique, une révolution silencieuse s’opère dans la logistique : généralisation des séchoirs solaires pour limiter les pertes post-récolte, plateformes numériques de vente sans intermédiaires dans les marchés urbains, alliances avec des start-up agrotech pour optimiser la gestion de l’eau et la météo locale sur mobile.
Limites, obstacles et batailles structurelles
Les freins restent nombreux. Le soutien institutionnel demeure modeste, la corruption mine parfois les fonds internationaux. Les conflits pour l’accès à la terre, exacerbés par la pression des éleveurs transhumants et la multiplication des attaques de groupes armés (Boko Haram, bandits locaux), restreignent la stabilité dans certaines zones. Plusieurs programmes pilotes souffrent du manque d’investissement initial pour franchir l’échelle locale.
Pourtant, une prise de conscience émerge jusque dans les capitales régionales : la souveraineté alimentaire du pays dépendra de la capacité à renouveler le secteur agricole, à fidéliser la jeunesse au métier de la terre et à investir dans les infrastructures rurales : routes, irrigation, centres de santé.
Vers une nouvelle alliance rural-urbain ?
Certains gouverneurs testent déjà des politiques de “retour à la campagne” : primes à la relocalisation, bourses pour les jeunes agronomes, création de coopératives mixtes. La diaspora nigériane, tant vantée pour ses succès à Londres ou Houston, s’implique en finançant des fermes intelligentes, et en exportant un modèle d’entrepreneuriat rural inspiré de la Silicon Valley.
En rejetant la passivité et en s’armant d’innovation, les agriculteurs nigérians pourraient bien tracer la voie d’une résilience made in Africa.