Vers une nouvelle alliance stratégique globale ?
Introduction
En 2025, le rapprochement entre l’Union européenne (UE) et l’Afrique du Sud surprend par son ampleur et sa rapidité. Longtemps marquées par des relations fluctuantes, parfois tendues par des divergences sur la gouvernance mondiale, le commerce, les droits humains ou les questions climatiques, les deux partenaires ont récemment multiplié les initiatives de coopération. Ce renforcement inattendu, qui dépasse le simple cadre économique, s’inscrit dans un contexte international bouleversé : montée des rivalités géopolitiques, crise en Ukraine, tensions sino-américaines, urgence climatique et redéfinition des alliances Sud-Sud.
Ce dossier analyse les ressorts, les dynamiques et les perspectives de ce nouveau partenariat stratégique, en s’appuyant sur les derniers développements diplomatiques, économiques et sécuritaires.
1. Un contexte international propice au rapprochement
1.1. Multipolarité et recomposition des alliances
L’ordre mondial post-pandémique est marqué par la montée des puissances émergentes, la fragmentation des blocs traditionnels et la recherche de nouveaux équilibres. L’Afrique du Sud, membre des BRICS et puissance régionale africaine, cherche à diversifier ses partenariats au-delà de la Chine, de la Russie et des États-Unis. L’UE, confrontée à la guerre en Ukraine, à la crise énergétique et à la concurrence chinoise, redécouvre l’importance de l’Afrique comme partenaire stratégique, notamment pour la sécurité, la transition énergétique et l’accès aux ressources critiques.
1.2. Crises et convergences d’intérêts
- Sécurité alimentaire et énergétique : La guerre en Ukraine a mis en lumière la dépendance de l’Afrique du Sud au blé et aux engrais russes et ukrainiens. L’UE, soucieuse de sécuriser ses propres chaînes d’approvisionnement, voit dans l’Afrique du Sud un partenaire clé pour la diversification.
- Transition verte : L’UE, pionnière du Pacte vert, cherche à exporter ses normes et ses technologies. L’Afrique du Sud, confrontée à la crise du charbon et à la pression internationale pour décarboner son économie, bénéficie d’un soutien financier et technologique européen inédit.
- Gouvernance mondiale : Face à la paralysie du système multilatéral, les deux partenaires militent pour une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, une meilleure représentation de l’Afrique dans les instances internationales et la défense du multilatéralisme.
2. Les nouveaux piliers de la coopération UE – Afrique du Sud
2.1. Coopération économique et investissements
a) Relance du commerce bilatéral
L’UE reste le premier partenaire commercial de l’Afrique du Sud, représentant près de 25 % de ses échanges extérieurs. Depuis 2023, la signature d’un nouveau protocole d’accord sur l’accès préférentiel aux marchés agricoles et industriels a dopé les exportations sud-africaines de vin, d’agrumes, de minerais et de produits manufacturés.
En retour, les entreprises européennes investissent massivement dans l’automobile, les énergies renouvelables, la chimie et la pharmacie en Afrique du Sud.
b) Partenariats pour l’innovation et la transition énergétique
Le « Just Energy Transition Partnership » (JETP), lancé en 2021, a été renforcé en 2024 avec une enveloppe de 15 milliards d’euros pour accompagner la sortie du charbon, développer l’hydrogène vert et moderniser les réseaux électriques sud-africains. L’UE finance également des incubateurs de start-up, des programmes de formation et des projets pilotes dans la smart agriculture, la gestion de l’eau et la digitalisation des services publics.
2.2. Dialogue politique et diplomatie multilatérale
a) Réformes de la gouvernance mondiale
L’Afrique du Sud et l’UE portent ensemble la voix du Sud global pour une réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, la démocratisation des institutions de Bretton Woods et la lutte contre les inégalités Nord-Sud. Pretoria, forte de son rôle dans l’Union africaine, s’impose comme un relais des préoccupations africaines auprès de Bruxelles.
b) Médiation et gestion des crises
L’Afrique du Sud a récemment joué un rôle de médiateur dans la crise de Gaza, avec le soutien logistique et diplomatique de l’UE. Les deux partenaires coopèrent également sur la stabilisation du Sahel, la lutte contre la piraterie dans l’océan Indien et la prévention des conflits en Afrique australe.
2.3. Sécurité, défense et lutte contre le crime organisé
a) Coopération sécuritaire accrue
Face à la montée des menaces transnationales (terrorisme, cybercriminalité, trafics), l’UE et l’Afrique du Sud ont signé en 2025 un accord de coopération sécuritaire : échanges de renseignements, formation des forces spéciales, lutte contre le blanchiment et la corruption.
Des exercices navals conjoints sont organisés dans l’Atlantique Sud et l’océan Indien, pour sécuriser les routes maritimes et lutter contre la pêche illégale.
b) Santé et résilience pandémique
La pandémie de Covid-19 a servi de catalyseur : l’UE soutient la production de vaccins en Afrique du Sud (notamment via Biovac et Aspen), la recherche sur les maladies émergentes et le renforcement des systèmes de santé publique.
3. Les obstacles et défis du partenariat
3.1. Déséquilibres et perceptions
Malgré les avancées, certains acteurs sud-africains dénoncent la persistance d’un rapport asymétrique, où l’UE impose ses normes et conditionne ses financements à des réformes structurelles. Les syndicats et la société civile craignent une « recolonisation verte » via les exigences du Pacte vert européen.
3.2. Divergences sur la géopolitique et les droits humains
L’Afrique du Sud garde une politique étrangère indépendante, refusant de s’aligner systématiquement sur les positions européennes, notamment sur la Russie, la Palestine ou la réforme de la gouvernance numérique. Les tensions persistent sur les questions de droits humains, de libertés publiques et de gestion des migrations.
3.3. Défis internes à l’Afrique du Sud
La crise énergétique, la corruption, la violence et les inégalités sociales freinent l’attractivité du pays pour les investisseurs européens. La réussite du partenariat dépendra de la capacité de Pretoria à réformer son administration, à stabiliser l’environnement des affaires et à garantir la sécurité juridique.
4. Perspectives et scénarios d’avenir
4.1. Vers une alliance stratégique globale ?
Si la dynamique actuelle se confirme, l’UE et l’Afrique du Sud pourraient bâtir une alliance stratégique sur le modèle des partenariats UE-Japon ou UE-Corée du Sud, avec des sommets réguliers, des programmes conjoints de recherche et une coordination sur les grands dossiers internationaux (climat, sécurité, commerce, numérique).
4.2. Un modèle pour l’Afrique ?
Le partenariat UE – Afrique du Sud pourrait servir de laboratoire pour une nouvelle génération d’accords euro-africains, plus équilibrés, plus inclusifs et plus résilients. Il pourrait inspirer d’autres pays africains à négocier des partenariats gagnant-gagnant, fondés sur la valeur ajoutée locale, l’innovation et la souveraineté.
4.3. Les risques de fragmentation
À l’inverse, un échec du partenariat, du fait de divergences politiques ou de crises internes, pourrait renforcer la tentation d’un repli sud-africain vers les BRICS ou vers des alliances alternatives (Chine, Russie, Inde, pays du Golfe).
Conclusion
Le renforcement inattendu des relations entre l’Union européenne et l’Afrique du Sud, loin d’être un simple ajustement tactique, s’inscrit dans une recomposition profonde des alliances mondiales. Porté par la convergence d’intérêts économiques, sécuritaires et diplomatiques, ce partenariat pourrait devenir un pilier de la nouvelle gouvernance globale, à condition de surmonter les déséquilibres et de bâtir une relation fondée sur la confiance, la transparence et la réciprocité.
Pour l’Afrique du Sud, il s’agit d’une opportunité historique de peser sur la scène internationale, d’accélérer sa transition économique et de renforcer sa souveraineté. Pour l’UE, c’est l’occasion de renouveler son engagement en Afrique, de sécuriser ses intérêts stratégiques et de promouvoir un multilatéralisme rénové.
L’avenir de cette alliance dépendra de la capacité des deux partenaires à transformer les défis en opportunités et à inventer ensemble un nouveau récit euro-africain.