L’Afrique centrale, vaste région qui s’étend du golfe de Guinée aux confins du bassin du Congo, connaît une crise de l’eau d’une ampleur inédite. En 2025, les pénuries d’eau potable, la dégradation des ressources hydriques et les conflits d’usage se multiplient, affectant des dizaines de millions de personnes. Cette crise, qui résulte d’un cocktail explosif de croissance démographique, de changement climatique, de mauvaise gouvernance et de pressions économiques, met à l’épreuve la stabilité régionale et suscite une vague d’innovations, d’initiatives citoyennes et de rivalités géopolitiques. Plongée au cœur d’un enjeu vital pour l’avenir du continent.
Une région au potentiel hydrique immense, mais sous tension
L’Afrique centrale abrite certains des plus grands fleuves du monde, à commencer par le Congo, deuxième plus long fleuve d’Afrique et véritable colonne vertébrale écologique, économique et culturelle de la région. Le bassin du Congo, avec ses innombrables affluents, ses forêts tropicales et ses zones humides, représente l’une des plus vastes réserves d’eau douce de la planète. Pourtant, paradoxalement, l’accès à l’eau potable reste un défi quotidien pour une grande partie de la population.
Selon l’UNICEF et l’Organisation mondiale de la santé, près de 40 % des habitants de la région – soit plus de 80 millions de personnes – n’ont pas accès à une source d’eau potable fiable. Les infrastructures de distribution, souvent vétustes ou inexistantes, peinent à suivre la croissance urbaine rapide, notamment dans des mégapoles comme Kinshasa, Douala, Brazzaville ou Libreville. Dans les zones rurales, les femmes et les enfants parcourent parfois plusieurs kilomètres chaque jour pour puiser de l’eau, au risque de leur santé et de leur sécurité.
Changement climatique et variabilité hydrologique
Le changement climatique aggrave la situation. Les épisodes de sécheresse, autrefois rares dans cette région équatoriale, deviennent plus fréquents et prolongés, affectant aussi bien l’agriculture que la production hydroélectrique. Les précipitations, autrefois régulières, deviennent imprévisibles, alternant entre inondations dévastatrices et périodes de pénurie. Les experts du GIEC alertent sur la vulnérabilité particulière de l’Afrique centrale, où la hausse des températures et la déforestation accélérée menacent de bouleverser le cycle de l’eau.
Les conséquences sont multiples : baisse de la productivité agricole, insécurité alimentaire, exode rural, tensions accrues entre éleveurs et agriculteurs, mais aussi entre États riverains. Les barrages hydroélectriques, essentiels pour l’approvisionnement en électricité, voient leur rendement diminuer, provoquant des coupures de courant qui paralysent l’activité économique et sociale.
Conflits d’usage et rivalités géopolitiques
La rareté de l’eau attise les tensions, tant au niveau local qu’international. Les conflits entre communautés pour l’accès aux points d’eau se multiplient, parfois avec des conséquences dramatiques. Dans certaines régions frontalières, comme entre le Cameroun et le Tchad, ou entre la République centrafricaine et la RDC, des affrontements éclatent pour le contrôle des rivières, des lacs ou des nappes phréatiques.
Au niveau régional, la gestion du fleuve Congo et de ses affluents devient un enjeu géopolitique majeur. Les projets de barrages géants, comme Inga III en RDC, suscitent la méfiance des pays voisins, qui craignent une captation des ressources à leur détriment. Les négociations entre États, souvent laborieuses, mettent en lumière l’absence de cadre juridique contraignant et la difficulté à concilier développement économique, sécurité énergétique et préservation de l’environnement.
Innovations et initiatives citoyennes : l’espoir par le bas
Face à l’ampleur de la crise, les sociétés civiles, les ONG et les entrepreneurs locaux multiplient les initiatives pour améliorer l’accès à l’eau. Des start-ups conçoivent des systèmes de filtration low-cost, des forages solaires, des applications mobiles pour signaler les pannes ou localiser les points d’eau. Les femmes, en première ligne, s’organisent en coopératives pour gérer les puits et sensibiliser à l’hygiène.
Des villes comme Yaoundé ou Pointe-Noire expérimentent des réseaux de distribution intelligents, capables de détecter les fuites et d’optimiser la consommation. Les universités africaines collaborent avec des partenaires européens pour développer des solutions adaptées aux réalités locales : récupération des eaux de pluie, purification par rayonnement solaire, dessalement à petite échelle.
Les bailleurs de fonds internationaux, la Banque mondiale, l’Union européenne et la Banque africaine de développement financent des programmes d’infrastructures, mais insistent de plus en plus sur la gouvernance, la participation citoyenne et la transparence.
La question cruciale de la gouvernance et de la corruption
L’un des principaux obstacles à la résolution de la crise de l’eau en Afrique centrale reste la mauvaise gouvernance. Les détournements de fonds, la politisation des sociétés de distribution, le manque de planification et l’absence de contrôle citoyen minent l’efficacité des investissements. Les rapports d’audit révèlent régulièrement des chantiers inachevés, des équipements hors service ou des réseaux détournés au profit de groupes privés.
Des initiatives de « gouvernance ouverte » voient le jour : plateformes de suivi des projets, comités de gestion communautaire, audits participatifs. Mais le chemin reste long pour instaurer une gestion durable, équitable et transparente de la ressource.
L’eau, un enjeu pour la paix et le développement durable
La crise de l’eau en Afrique centrale est aussi un défi pour la paix et la stabilité régionale. Les experts alertent sur le risque de voir émerger des « conflits de l’eau », qui viendraient s’ajouter aux tensions existantes liées à la pauvreté, aux migrations et à l’insécurité. L’ONU, l’Union africaine et la CEEAC appellent à la coopération transfrontalière, à la création d’autorités de bassin et à la signature d’accords de partage des ressources.
L’eau est également au cœur des stratégies de développement durable. L’accès à l’eau potable conditionne la santé, l’éducation, l’autonomisation des femmes, la croissance économique et la résilience face au changement climatique. Les Objectifs de développement durable (ODD) fixés par l’ONU pour 2030 placent l’eau au centre de l’agenda africain.
Vers un nouveau pacte régional pour l’eau ?
Face à l’urgence, plusieurs initiatives émergent pour bâtir un nouveau pacte régional sur l’eau. Des sommets réunissant chefs d’État, experts et acteurs de la société civile sont organisés pour définir des stratégies communes : partage des données, harmonisation des politiques, investissements conjoints dans les infrastructures, mécanismes de prévention des conflits.
Des projets pilotes de gestion intégrée des ressources en eau voient le jour, associant États, collectivités locales et secteur privé. L’objectif : faire de l’eau un facteur de coopération et de prospérité partagée, et non une source de division.