Dans les grandes villes de l’Afrique de l’Ouest, les scènes se répètent et s’amplifient : sit-in, marches pacifiques, mobilisations sur les réseaux sociaux ; en face, escouades policières, arrestations de figures du mouvement, coupures ciblées d’Internet. La jeunesse citoyenne, moteur de la contestation et de l’innovation politique, fait désormais face à un “mur de répression” sans précédent depuis une décennie. Les enjeux touchent la démocratie, les droits civiques, mais aussi la confiance dans les institutions.
Une nouvelle génération engagée
Du Sénégal à la Côte d’Ivoire, du Bénin au Nigeria, la jeunesse ouest-africaine réinvente la mobilisation politique. Héritiers directs du printemps sénégalais (Y’en a marre, 2012) ou du mouvement “Filimbi” en RDC, des milliers de jeunes investissent les places publiques et les réseaux sociaux, armés de slogans, podcasts, vidéos virales. Ils portent la lutte contre le troisième mandat présidentiel, la corruption et la spoliation des ressources, mais aussi pour un meilleur accès à l’éducation, à la santé, et une justice sociale réelle.
Pour ces nouveaux leaders, la rue est un “parlement à ciel ouvert”, mais aussi un espace numérique : campagnes de hashtags (#FreeSenegal, #EndSARS, #LesJeunesDécident) et journaux alternatifs en ligne rassemblent des communautés transfrontalières. “Nous ne sommes ni partis, ni syndicats”, clame Awa, 22 ans, manifestante à Ouagadougou, “nous sommes la voix du peuple, l’énergie de l’avenir”.
La répression monte d’un cran
Les réponses gouvernementales s’intensifient. À chaque mobilisation, la liste des détenus politiques s’allonge : figures charismatiques, blogueurs, artistes, syndicalistes. Les associations de défense des droits humains recensent pour la seule année 2024 plus de 2 000 arrestations arbitraires au Nigeria, 900 au Bénin, et des centaines au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
La technologie est aussi un front : la suspension d’Internet lors des élections, la surveillance accrue des plateformes et les tentatives de censure montrent la volonté des États de contrôler le récit national. Face à cela, les jeunes contre-attaquent par la cryptographie, l’usage de VPN, et la création de radios clandestines en ligne.
Facteurs de résilience et limites
Malgré l’intensification de la répression, le mouvement demeure vivace. L’exil forcé de certains leaders n’entame pas la détermination de la base. Au contraire, la diaspora s’affirme comme relais, amplificatant le message à l’international et tissant des alliances avec des ONG mondiales. La culture urbaine — rap, slam, art de rue — sert de caisse de résonance puissante.
Mais la résilience a ses limites : peur, lassitude, chômage endémique et migrations précaires fragilisent le tissu militant. L’absence de débouchés électoraux (cartels politiques verrouillés, manque de financement) bride l’émergence d’une “contre-élite” citoyenne.
Vers une recomposition du paysage politique
Malgré tout, la “démocratie protestataire” s’impose. Plusieurs pays voient émerger de nouvelles plateformes politiques : coalitions de mouvements citoyens, syndicats professionnels renforcés, partis nés de la rue. L’optimisme prudent domine : rien n’est encore gagné, mais l’Afrique de l’Ouest appartient désormais “aussi à ceux qui lèvent la main contre l’injustice”.
Les institutions traditionnelles, jusque-là dominantes, sont contraintes d’ouvrir de timides dialogues, conscientes du poids électoral de ces jeunes – plus de 65 % de la population régionale a moins de 25 ans.
Une bataille d’avenir
L’Afrique de l’Ouest n’écrit plus son histoire uniquement dans les palais présidentiels, mais dans la rue, sur la toile, et dans les esprits d’une jeunesse inventive et déterminée. La route reste incertaine, mais une nouvelle génération réclame sa place dans la construction du continent.