Le Sénégal, traditionnel pilier de stabilité en Afrique de l’Ouest, traverse une période d’incertitude politique alarmante depuis l’élection du président Bassirou Diomaye Faye et la prise de fonction d’Ousmane Sonko comme Premier ministre. Ce binôme, qui incarnait l’espoir du changement, semble désormais miné par de profondes divergences, fragilisant la gouvernance et pesant sur l’avenir du pays.
Au lendemain de leur victoire électorale en mars 2025, les Sénégalais ont cru à l’avènement d’une ère nouvelle. Le duo Faye-Sonko avait séduit par son engagement contre la corruption, pour la justice sociale, et par sa capacité à fédérer les jeunes autour d’un projet national. Quelques mois plus tard, l’enthousiasme a cédé la place à la désillusion pour une partie de la population, lassée par les joutes verbales et les postures intransigeantes.
Une cohabitation sous haute tension
Dès les premiers mois, les désaccords ont émergé au grand jour. La nomination des ministres, la répartition des portefeuilles stratégiques, mais aussi la vision de la réforme constitutionnelle ont donné lieu à de vives confrontations. Le président Diomaye Faye, soucieux d’affirmer son autorité, a multiplié les rappels à l’ordre, tandis qu’Ousmane Sonko accuse la présidence de vouloir neutraliser son pouvoir et trahir l’esprit du mandat populaire. Les réseaux sociaux et médias sénégalais, hautement politisés, amplifient chaque déclaration, chaque déplacement, chaque maladresse.
La dernière crise en date – le limogeage du ministre de l’Intérieur, proche de Sonko, remplacé par un technocrate du cercle présidentiel – a été perçue comme une provocation par les soutiens du Premier ministre. À Dakar, dans les universités comme dans les marchés, beaucoup s’interrogent sur l’avenir de cette « union sacrée » qui avait pourtant suscité tant d’espoirs.
Des conséquences économiques et sociales
Cette paralysie politique n’est pas sans conséquence. Les investisseurs, en particulier étrangers, observent un principe d’attentisme. L’inflation, alimentée par la crise sécuritaire dans la sous-région et la timidité des réformes, pèse sur les classes moyennes et populaires. Dans les rues de Thiès, de Kaolack ou de Ziguinchor, le malaise est palpable : la promesse de nouveaux emplois, d’écoles rénovées, de soins plus accessibles tarde à se concrétiser.
Par ailleurs, la crainte d’un affrontement ouvert entre les deux têtes de l’exécutif inquiète les partenaires régionaux. Le Sénégal joue en Afrique de l’Ouest un rôle stabilisateur essentiel. Une rupture ou une déstabilisation interne aurait des conséquences sur l’ensemble de la CEDEAO, déjà fragilisée par les putschs au Mali, au Burkina Faso et au Niger.
Et maintenant ?
Face à l’impasse, des voix s’élèvent pour demander une médiation nationale, voire internationale. Certains ténors de la société civile rappellent l’histoire politique du Sénégal, marquée par la recherche du consensus et l’importance du dialogue. Le clergé, les chefs traditionnels, mais aussi une jeunesse très engagée sur les réseaux sociaux, appellent à l’apaisement.
Pour l’instant, ni Faye ni Sonko ne semble vouloir céder. Les deux hommes mesurent le poids de la responsabilité historique qui pèse sur leurs épaules : une réconciliation nationale ou un affrontement stérile ? L’avenir du Sénégal – et, dans une certaine mesure, celui de l’Afrique de l’Ouest – dépendra de l’issue de ce bras de fer.