Par Christian Sabba Wilson, éditorialiste et consultant politique
Au Gabon, l’histoire récente aurait pu basculer dans la tragédie. L’éviction pacifique du clan Bongo du pouvoir, suivie du départ en exil de certains membres de la famille, marque un tournant majeur pour ce pays longtemps habitué à la verticalité autoritaire et à la personnalisation du pouvoir. Loin de la tentation du règlement de comptes sanglant ou de la justice expéditive, le nouveau pouvoir gabonais a fait le choix de la retenue, de la tolérance et du respect de la vie humaine. Ce geste, qui aurait pu sembler anodin ailleurs, prend une dimension symbolique et politique inédite en Afrique centrale.
Un précédent salutaire pour l’Afrique
L’histoire du continent est jalonnée de transitions violentes, de purges, de procès spectacles ou d’exécutions sommaires. Trop souvent, la chute d’un régime s’accompagne d’une spirale de vengeance, de chasse aux sorcières et de règlements de comptes qui laissent des sociétés exsangues, divisées, incapables de se projeter dans l’avenir. Au Gabon, il n’en a rien été. Le choix d’accorder à la famille Bongo la possibilité de quitter le pays en toute sécurité, sans humiliation publique, sans lynchage médiatique, sans condamnation à mort, constitue un acte de gouvernance mature, équilibrée et profondément responsable.
Ce n’est pas céder à la faiblesse, ni renoncer à la justice. C’est au contraire donner corps à une justice apaisée, à une vision de la politique qui privilégie la concorde nationale, la préservation de la paix civile et la réconciliation. Il aurait été facile, et sans doute populaire, de sacrifier les anciens dirigeants sur l’autel de la vindicte. Mais le Gabon a choisi de ne pas ajouter la violence à la violence, de ne pas ouvrir la porte à la guerre civile ou à la vendetta clanique.
Un pays moins en péril, plus ouvert à la paix
Ce choix courageux doit être salué. Il crée un précédent dont toute l’Afrique devrait s’inspirer. En laissant la vie sauve à ceux qui incarnèrent, à tort ou à raison, les excès d’un système, le nouveau pouvoir gabonais envoie un message fort : la politique n’est pas une affaire de vengeance, mais de construction collective. La paix, la justice apaisée, la tolérance ne sont pas des signes de faiblesse, mais de force. Elles sont le socle sur lequel se bâtissent la stabilité, la confiance et, in fine, le développement économique et social.
En évitant le bain de sang, le Gabon s’épargne le cycle infernal des représailles et des divisions. Il offre à ses citoyens la possibilité d’espérer en des lendemains meilleurs, de croire à la possibilité d’une alternance sans chaos, d’une vie politique où l’on peut perdre le pouvoir sans perdre la vie. Ce climat apaisé est propice à l’investissement, à la reprise économique, à la cohésion sociale. Un pays qui ne craint pas la guerre civile, qui ne s’abandonne pas à la haine, est un pays qui regarde vers l’avenir.
La tolérance, vertu suprême du bon gouvernement
La tolérance politique, la capacité à garantir la sécurité même à ses adversaires, est la marque des grandes démocraties. Elle est aussi, en Afrique, l’une des clés du bien gouverner. Trop de dirigeants, hier comme aujourd’hui, confondent autorité et brutalité, justice et vengeance. Le Gabon, par ce geste, montre qu’il est possible de tourner la page sans la déchirer, de rendre justice sans verser dans l’arbitraire, de protéger l’État sans détruire les hommes.
Ce choix est aussi un signal à la classe politique africaine : la tolérance n’est pas une faiblesse, mais une force. Elle permet de pacifier la vie politique, de rassurer les partenaires internationaux, de garantir la stabilité et d’attirer les investisseurs. Elle favorise la circulation des élites, la liberté d’expression, la confiance dans les institutions.
Un exemple pour toute l’Afrique
L’exil pacifique des Bongo ne doit pas être vu comme une fuite, mais comme un acte de sagesse. Il permet d’éviter la tentation du martyr, du héros sacrifié, du leader assassiné qui devient le point de ralliement des mécontents et des nostalgiques. Il permet aussi à la justice de faire son travail dans la sérénité, sans pression populaire, sans risque de dérapage.
Le Gabon, en choisissant la paix plutôt que la vengeance, la justice apaisée plutôt que la justice expéditive, s’inscrit dans la lignée des nations qui ont compris que la grandeur d’un État se mesure à sa capacité à protéger tous ses citoyens, y compris ceux qui furent au sommet. Ce geste, rare sur le continent, doit inspirer tous ceux qui aspirent à une Afrique moins en péril, moins encline aux guerres civiles, plus soucieuse de bâtir un avenir commun.
Féliciter le courage politique, célébrer la paix
Il faut féliciter ce choix courageux. La paix, la justice apaisée, la tolérance sont des actes de courage politique. Ils exigent de dépasser les passions, de résister à la facilité du châtiment, de croire en la force du dialogue et de la concorde. Ce sont ces vertus qui garantiront au Gabon, et à l’Afrique, des lendemains de paix, de développement et de prospérité.
Que cet exemple serve de leçon à tous les dirigeants, à toutes les sociétés tentées par la revanche ou la division. Gouverner, c’est aussi savoir pardonner, protéger, réconcilier. C’est ainsi que l’on bâtit des nations solides, respectées et tournées vers l’avenir.
Christian Sabba Wilson
Éditorialiste et consultant politique